Le Peuple et le Roi
l’abolition de l’esclavage.
On évoque une « démocratie royale », ou une
monarchie aristocratique à l’anglaise, et même la République.
Certains « enragés » rappellent qu’on ne compte
que cent mille privilégiés pour vingt-cinq millions de français.
Cette immense majorité, disent-ils, ne peut se faire
entendre que lors d’États généraux. Et tous ces « patriotes »
demandent l’élection des représentants aux États, qui doivent être convoqués, non
pas en 1792, comme Loménie de Brienne et le roi l’ont annoncé, mais dès l’année
prochaine, en 1789.
Louis, les ministres, constatent d’ailleurs qu’ils ne
peuvent imposer leurs décisions.
Les parlementaires sont hostiles, l’armée divisée et rétive
à maintenir l’ordre. Les impôts directs ne rentrent plus, le pain est cher, l’emploi
rare, les vagabonds nombreux dans le cœur même des villes.
Le désordre s’installe : émeutes, pillages, rassemblements,
et l’opinion est de plus en plus critique.
Il faut desserrer, dénouer ce garrot qui étouffe le pays, et
la seule possibilité est d’accepter la convocation rapide des États généraux, dans
l’espoir de rassembler autour du roi le tiers état.
« Les privilégiés ont osé résister au roi, dit
Lamoignon, avant deux mois il n’y aura plus ni parlements, ni noblesse, ni
clergé. »
Le roi s’inquiète, même s’il approuve, le 8 août, la
convocation des États généraux pour le 1 er mai 1789.
Mais la monarchie française peut-elle exister sans ordres
privilégiés ?
La situation est d’autant plus périlleuse que l’État, après
avoir raclé les fonds dans toutes les caisses existantes – celles des hôpitaux,
des Invalides, des théâtres, des victimes de la grêle… –, est contraint, le 16
août 1788, de suspendre ses paiements pour six semaines.
C’est la banqueroute, l’affolement dans l’opinion, la
confirmation qu’on ne peut plus faire confiance à ce gouvernement.
Et le roi doit accepter ce qu’il avait refusé : le
rappel de Necker et le renvoi de Brienne.
Cela doit, pense-t-il, rassurer l’opinion.
« Voilà bien des années que je n’ai pas eu un instant
de bonheur », dit Louis en recevant Necker.
Necker répond :
« Encore un peu de temps, Sire, et vous ne parlerez
plus ainsi ; tout se terminera bien. »
Réussira-t-il ?
Necker a l’appui de la reine.
« Je tremble, dit-elle, de ce que c’est moi qui le fais
revenir. Mon sort est de porter malheur ; et si des machinations
infernales le font encore manquer ou qu’il fasse reculer l’autorité du roi, on
m’en détestera davantage. »
Mais ordre est donné aux gardes françaises et suisses de
rétablir l’ordre, en ouvrant le feu sur ces manifestants qui brûlent le
mannequin de Brienne, obligent les boutiques à fermer.
On relève plusieurs morts, mais à la fin septembre, l’ordre
est rétabli.
La confiance revient.
Les effets royaux à la Bourse augmentent en quelques jours
de trente pour cent. Necker avance au Trésor royal, sur sa fortune personnelle,
deux millions. Il obtient des avances des banquiers, des notaires, et l’État
peut reprendre ses dépenses, jusqu’aux États généraux.
Mais ces « miracles » qui rendent Necker encore
plus populaire n’apaisent pas les débats qui divisent l’opinion.
Ceux qu’on appelle les aristocrates – le comte d’Artois,
plusieurs princes du sang – veulent que les États généraux se réunissent dans
la forme de 1614 : pas de doublement du nombre des députés du tiers, et
chaque ordre (tiers état, noblesse, clergé) siégeant dans une chambre séparée.
Les aristocrates refusent une assemblée unique : ce
serait le début d’une révolution, disent-ils.
Les patriotes sont d’un avis opposé : ils
réclament le doublement du tiers état, le vote par tête et la chambre unique.
Le 5 décembre, le Parlement accepte le doublement mais ne se
prononce ni sur le vote par tête ni sur l’assemblée unique. L’opinion s’enflamme
et la popularité du Parlement s’évanouit.
Devant cet avenir incertain, l’attente anxieuse du pays est
immense. À tout instant, parce que la misère tenaille, le pain est toujours
plus cher, si la déception succède à l’espérance, la colère peut embraser les
foules.
Necker le sait, et le 27 décembre 1788, devant le Conseil d’en
haut, en présence du roi et de la reine, il plaide pour le doublement du
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