Le Peuple et le Roi
de visages, c’est-à-dire que d’une
sombre consternation on a passé rapidement à des cris de : “Vive la nation !”
Du moins la cavalerie qui était présente à l’exécution et qui a mis ses casques
au bout de ses sabres. Quelques citoyens ont fait de même mais un grand nombre
s’est retiré, le cœur navré de douleur, en venant répandre des larmes au sein
de sa famille.
« Comme cette exécution ne pouvait se faire sans
répandre du sang sur l’échafaud, plusieurs hommes se sont empressés d’y tremper,
les uns l’extrémité de leur mouchoir, d’autres un morceau de papier ou tout
autre chose…
« Le corps a été transporté dans le cimetière
Sainte-Marguerite…
« Son fils le ci-devant dauphin par un trait de naïveté
qui intéresse beaucoup en faveur de cet enfant demandait avec insistance dans
son dernier entretien avec son père d’aller l’accompagner pour demander sa
grâce au peuple… »
« Laissons Louis sous le crêpe ; il appartient
désormais à l’histoire », écrit Le Moniteur.
On s’arrache les journaux du mardi 22 janvier. La
Chronique de Paris, de Condorcet, rapporte que « hier à dix heures un
quart, le jugement de Louis Capet a été mis en exécution. Les ponts et les
principales avenues étaient interceptés et garnis de canons ; les
boutiques sont restées fermées toute la journée ; il y a eu peu de monde dans
les rues et dans les places publiques. Le soir le bruit courait que la fille de
Louis Capet était morte ».
Rumeur, mensonge, moyen d’émouvoir, de créer une « fermentation
des esprits ».
Le Républicain, journal montagnard, ne le reprend pas.
Il s’enthousiasme.
« Aujourd’hui l’on vient de se convaincre qu’un roi n’est
qu’un homme et qu’aucun homme n’est au-dessus des lois.
« Peuples de l’Europe ! Peuples de la terre !
Contemplez les trônes : vous voyez qu’ils ne sont que poussière !
« La France vient de donner un grand exemple aux
peuples et une grande leçon aux rois pour le bonheur de l’humanité !
« Jour célèbre à jamais mémorable ! Puisses-tu
arriver à la prospérité ! Que la calomnie ne t’approche jamais !
« Historiens ! Soyez dignes de l’époque ; écrivez
la vérité rien que la vérité ; jamais elle ne fut plus sainte : jamais
elle ne fut plus belle à dire ! »
Marat exulte, dans Le Publiciste de la République
française :
« La tête du tyran vient de tomber sous le glaive de la
loi… je crois enfin à la République…
« Le supplice de Louis est un de ces événements
mémorables qui font époque dans l’histoire des nations… Loin de troubler la
paix de l’État il ne servira qu’à affermir non seulement en contenant par la terreur les ennemis du dedans mais les ennemis du dehors.
« Il donnera aussi à la nation une énergie et une force
nouvelles pour repousser les hordes féroces de satellites étrangers qui oseront
porter les armes contre elle.
« Car il n’y a plus moyen de reculer, et telle est la
position où nous nous trouvons aujourd’hui qu’il faut vaincre ou périr. »
« Terreur » :
Ce mot est donc écrit, « semé », mardi 22 janvier 1793.
Les moissons seront sanglantes.
1
Gazette d’un Parisien sous
la Révolution, lettres à son frère, 783-1796,
Perrin, 1976.
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