Le Peuple et le Roi
ainsi paralysé, divisé : le duc d’Orléans
attise l’incendie, par l’intermédiaire de ces hommes de plume qui publient
articles et libelles, pamphlets.
Louis craint plus que jamais d’être impuissant devant cette
montée de la révolte, du mépris et de la haine.
Il pleure, hésite. Peut-être faut-il reculer, une nouvelle
fois.
Louis sent que le pouvoir est ébranlé : des provinces, la
Bretagne, le Dauphiné sont au bord de l’insurrection.
Les parlementaires se rassemblent, contestent les édits
royaux. Les nobles se réunissent et s’opposent au roi, le suppliant de
désavouer les édits.
Les officiers tolèrent les manifestations violentes, et
laissent les émeutiers assaillir leurs troupes.
Le « peuple », qui subit la hausse du prix du pain,
se joint aux émeutiers.
C’est ce que rapportent au roi les intendants, eux-mêmes
souvent complaisants avec les parlementaires.
À Grenoble, les parlementaires réunis illégalement déclarent
que si les édits étaient maintenus, « le Dauphiné se regarderait comme
entièrement dégagé de sa fidélité envers son souverain ».
« Il faut enfin apprendre aux ministres ce que peut une
nation généreuse qu’ils veulent mettre aux fers. » Le commandant de la
province, le duc de Clermont-Tonnerre, transmet le 7 juin 1788 aux parlementaires
les ordres d’exil qu’il a reçus.
Aussitôt la nouvelle connue, les boutiques ferment, des
cortèges se forment, les quarante et une corporations de métiers se rendent au
siège du parlement, les paysans et les vendeuses du marché s’agglomèrent au
cortège. La population des faubourgs, des Savoyards, des montagnards, accourent.
Les soldats sont bombardés de tuiles. On leur a ordonné de
ne pas faire usage de leurs armes.
Clermont-Tonnerre cède, autorise les parlementaires à se
réunir au terme de cette « journée des Tuiles » qui a mis en lumière
un juge royal, Mounier, et un jeune avocat, Barnave.
Quelques semaines plus tard, le 21 juillet, au château de
Vizille, propriété du riche industriel Périer, représentants du tiers état, de
la noblesse et du clergé, se réunissent sans autorisation royale. Ils décident
de convoquer les états de la province, de réclamer la réunion des États
généraux, avec doublement des députés du tiers, le vote par tête et non par
ordre. Et l’admission des roturiers à tous les emplois.
L’assemblée invoque « la protection du roi, de la loi
et de la nation en faveur de tous les citoyens dont on attaquera la liberté par
des lettres de cachet et d’autres actes de pouvoir arbitraire ».
C’est bien dans une perspective nationale, que se placent
les représentants du Dauphiné.
Et se confirment ainsi le renforcement et la présence, sur
tout le territoire du royaume, de « patriotes » qui composent un « parti
national ».
C’est ce qui inquiète Louis XVI et la Cour.
Aux renseignements que rapportent les « mouches »
qui arpentent les rues, se promènent sous les arcades du Palais-Royal, s’installent
chez le restaurateur Massé, écoutent les conversations dans les cafés, et les
orateurs qui haranguent les clients au café de Foy, au café du Caveau, s’ajoute
la prolifération des pamphlets. Une centaine paraissent chaque mois.
Les brochures s’entassent sur les tables des ministres et
sur celles du Roi.
Des philosophes – Condorcet –, des avocats – Barnave, Danton
–, des nobles – Mirabeau –, des publicistes – Brissot, l’abbé Sieyès – publient
et acquièrent ou confirment leur notoriété.
Les Sentiments d’un républicain de Condorcet, et
surtout Qu’est-ce que le tiers état ?, de Sieyès, connaissent une
large diffusion.
Sieyès s’interroge :
« Qu’est-ce que le tiers état ? – Tout. – Qu’a-t-il
été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? – Rien. – Que demande-t-il ?
– À devenir quelque chose. »
Camille Desmoulins, qui fut élève au collège Louis-le-Grand
dans la même classe que Robespierre, est l’auteur d’un opuscule enflammé, La
France libre.
Mirabeau édite à Aix Le Courrier de Provence, Volney,
à Rennes, La Sentinelle du peuple.
Des clubs se sont constitués. Le club de Valois est
sous l’influence du duc d’Orléans, le club des Trente rassemble Mirabeau,
La Fayette, Talleyrand, Sieyès, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. La
Société des amis des Noirs, de Brissot et de l’abbé Grégoire, fait campagne
pour
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