Le Pré-aux-Clercs
s’écartait volontairement :
« C’est bien, monsieur, nous vous suivons… Mais… mes compagnons ?…
– Je n’ai pas d’instructions au sujet de ces messieurs, dit tranquillement Genlis. Ils peuvent aller à leurs affaires. À moins que vous redoutiez quelque chose pour eux, auquel cas je me ferai un devoir de les protéger pour l’amour de vous. »
Beaurevers déclina cette offre gracieuse en remerciant comme il convenait. Il prit Ferrière à part et lui dit à brûle-pourpoint :
« Vicomte, je vous conseille de tirer au large, et vivement… vous êtes fait comme un voleur, en loques, couvert de sang et de boue, méconnaissable, pour tout dire. Et c’est fort heureux pour vous. Filez, et gardez-vous qu’on sache que vous avez pris part à cette algarade. Que Mgr le vidame, votre père, lui surtout, l’ignore. Demain j’irai chez vous, je vous expliquerai. »
Ferrière commençait à connaître Beaurevers. Il le vit très sérieux. Il comprit que le conseil qu’il donnait, sans en faire connaître les raisons, devait être suivi sans perdre un instant. Il ramena donc sur le visage le manteau déchiré tailladé dans la bataille, se glissa le long de la maçonnerie et disparut en un clin d’œil.
Ce fut ensuite au tour de ses quatre fidèles. Beaurevers leur dit :
« Rentrez à la maison, rue Froidmantel. Je vous y rejoindrai tout à l’heure. »
Et ils partirent à leur tour, avec cette obéissance passive qu’ils montraient chaque fois que leur maître leur donnait un ordre.
Puis Beaurevers et François prirent congé des deux officiers huguenots dont le concours leur avait été si précieux.
Genlis attendit avec une complaisance remarquable qu’ils eussent fini. Évidemment les instructions de Griffon portaient de marquer les plus grands égards à ces deux personnages, honorés de la faveur royale. À part qu’il devait les ramener au Louvre il avait ordre de se tenir à leur disposition. C’est ce qu’il faisait de la meilleure grâce du monde, sachant bien qu’il se conciliait les bonnes grâces de deux hommes dont l’un tout au moins passait pour avoir une grande influence sur l’esprit du jeune roi.
Quand ils eurent fini, il leur fit donner des chevaux et se plaça entre eux deux.
Et ce fut ainsi que, moins d’une heure plus tard, alors que la nuit n’était pas encore complètement venue, Beaurevers et François firent, au milieu des gardes, leur entrée dans la demeure royale.
Genlis conduisit ses deux « prisonniers » dans l’antichambre particulière où se tenait Griffon que l’impatience et la crainte rongeaient. Néanmoins il ne laissa rien paraître de la joie qui l’envahit lorsqu’il vit enfin, sain et sauf, son maître qui, comme fortement impressionné, affectait le maintien timide d’un débutant à la cour.
Il les fit entrer dans la chambre royale. Fidèle à son rôle, François céda le pas au chevalier. Griffon entra derrière eux et poussa le verrou.
On laissa Genlis se morfondre un moment dans son antichambre, puis Beaurevers se retira et Griffon introduisit enfin le capitaine. Pas un instant l’idée ne lui vint qu’il se trouvait en présence de ce filleul de Griffon qu’il se reprochait d’avoir traité un peu cavalièrement.
D’ailleurs le roi se montra charmant pour lui. Il lui adressa force compliments sur la manière dont il s’était acquitté de sa mission, l’assura de son amitié, lui donna sa main à baiser, et finalement le congédia en lui faisant don d’une magnifique chaîne en or ciselé.
Cette aventure eut aussi une issue des plus heureuses pour les deux officiers huguenots dont la conduite avait été si chevaleresque.
Deux jours plus tard, Griffon se présenta chez eux et leur remit, de la part de « son filleul » le comte de Louvre, à chacun une somme de vingt mille livres et un brevet de lieutenant aux gardes de Sa Majesté. Pour ces deux gentilshommes, pauvres cadets de Gascogne sans feu ni lieu, n’ayant pour vivre que leur solde d’officiers du roi de Navarre, lequel oubliait quelquefois de les payer, c’était là une fortune inespérée.
Quant à Catherine, il va sans dire qu’elle avait été aussitôt avisée par ses espions de l’entrée au Louvre du chevalier de Beaurevers et du comte de Louvre escortés par les gardes du roi sous le commandement du capitaine de Genlis. Elle se rendait compte que le chevalier de Beaurevers, par sa bravoure et son courage mis au service de
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