Le Pré-aux-Clercs
que déjà elle avait pris mentalement ses dispositions. Elle était à peine sortie que déjà Catherine agissait. Un appel. Un ordre : le capitaine du Louvre, le lieutenant commandant les gardes françaises, à défaut du capitaine Montgomery, destitué et non encore remplacé, le colonel des Suisses, le commandant des gardes écossaises, convoquées séance tenante dans le cabinet de la reine mère.
Cela n’avait pas pris une minute et déjà elle était partie.
Par des voies secrètes, elle parvint à la petite chambre du roi. Elle y entra délibérément par une porte secrète qu’elle était peut-être seule à connaître. Glissant lentement, sans bruit, comme un fantôme noir, effroyablement calme, maîtresse d’elle-même, elle vint à une porte, se pencha, écouta. Elle perçut le bruit rythmé d’une respiration : c’était Griffon qui, de l’autre côté, dormait paisiblement, enfoui dans un vaste fauteuil.
Ainsi, le laquais envoyé par le concierge n’était pas encore parvenu jusqu’au valet de chambre.
Catherine eut un sourire livide. Que ce laquais tardât encore une minute ou deux et elle aurait la partie vraiment belle.
Tranquille de ce côté, elle ne perdit pas de temps.
Il y avait deux petits cabinets d’ébène incrustés dans cette chambre. Ils étaient absolument semblables et se faisaient pendant, l’un à droite, l’autre à gauche. Sans hésitation, elle se coula silencieusement vers le cabinet de droite. Elle sortit de son sein une petite clef et l’ouvrit sans bruit.
Le meuble ouvert, elle actionna un ressort et découvrit un petit tiroir secret. Dans ce tiroir, elle prit une liasse de parchemins. Un coup d’œil lui suffit pour vérifier que c’était bien ce qu’elle cherchait.
C’étaient des ordres entièrement écrits de la main du roi, revêtus de son sceau particulier et portant sa signature. Ces ordres qui s’adressaient à différents personnages : officiers, gouverneurs, magistrats, étaient tous identiques. Ils mandaient expressément à celui à qui ils s’adresseraient, et dont le nom et la qualité étaient spécifiés en toutes lettres, d’avoir à exécuter séance tenante des ordres dont le détail serait fourni par le sieur Pierre Griffon valet de chambre de Sa Majesté.
En somme, ces ordres adressés à toutes les forces civiles, militaires et ecclésiastiques, plaçaient momentanément entre les mains du valet de chambre du roi un pouvoir illimité, formidable.
Ces papiers, Catherine ne les détruisit pas, elle ne les garda pas non plus. Avec un sourire effrayant elle alla simplement les placer dans l’autre meuble. Et elle songeait :
« Je suis sûre que Griffon bouleversera complètement le cabinet où étaient ces papiers avant de songer à venir les chercher ici. De ce fait, il perdra un quart d’heure, une heure, peut-être… C’est plus qu’il n’en faut. Quant à savoir comment ces papiers ont déménagé, il pensera tout naturellement que c’est le roi qui les a déplacés et a oublié de l’en aviser. »
Cette opération heureusement achevée avec une dextérité merveilleuse, elle sortit. Elle prit un autre chemin et revint presque aussitôt devant la porte du cabinet où se tenait Griffon. Elle ouvrit brusquement cette porte.
Le bruit réveilla Griffon. Il fut instantanément debout et se courba devant la reine mère. Il était accoutumé à ces intrusions subites, car il ne manifesta ni surprise ni contrariété.
Souriant de son sourire le plus aimable, Catherine prononça avec un naturel parfait :
« Bonjour, Griffon. Je vais voir mon fils. »
Et sans attendre la réponse, elle se dirigea vers la porte de la chambre, en personne très sûre que cette chambre était habitée, écartant d’un geste de la main Griffon qui se tenait devant cette porte.
Le valet de chambre n’obéit pas au geste de la reine. Il se courba profondément devant elle et avertit respectueusement :
« Impossible, madame, Sa Majesté repose. »
Ces paroles sur lesquelles il insistait, étaient une manière convenue de dire que le roi était hors du Louvre.
Catherine eut un « Ah ! » dépité, comme si elle ne se fût pas attendue à les entendre. Elle demeura un moment rêveuse, visiblement contrariée, et dans un soupir :
« Quand donc le roi renoncera-t-il à ces dangereuses escapades ! fit-elle.
– Le roi est le maître, déclara gravement Griffon.
– C’est tenter Dieu que de s’exposer ainsi
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