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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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l’ont placé parmi mes plus proches amis. Il en est de même de Richard de Lucé, le justicier du royaume. Je sais, nous savons pouvoir nous reposer sur eux sans risque de coups bas. Nous œuvrons tous dans la même direction. La création d’un empire plus grand encore. L’empire des Plantagenêts.
    Elle avait dit cela avec fierté et je me sentis soudain petite avec ma rancœur, ma démission. Pour appuyer encore, elle ajouta dans un soupir résigné :
    — La vérité est ailleurs, Loanna. Si proches que nous soyons, Henri et moi, il est en lui une fêlure. Ce n’est pas palpable dans ses actes, ses décisions, ses choix, mais dans son œil sur moi. Comme si l’amour qu’il me porte s’abîmait d’un manque. C’est devenu plus prégnant avec la mort de Guillaume.
    Sa voix se brisa.
    — Il a réagi plus vivement que moi encore. Tu connais ses colères, abruptes, imprévisibles, violentes. Et telle a été sa première réaction, semblable à la mienne. Le refus de l’acceptation, la rage, la douleur…
    Ses doigts, son menton tremblèrent et mon regard, refusant le sien, se posa sur Eloïn. Comment pourrais-je, moi, survivre à cela ?
    — … Elles sont miennes à chaque instant, chaque seconde, Loanna. C’est une souffrance qui ne me quitte pas et, je le crois, ne me quittera jamais. Mais si elle se terre en moi, je la combats. Pas Henri. Il a mis en pièces les tentures, les meubles, le petit lit. L’espace d’un moment, voyant sa folie dans laquelle il hurlait à Dieu : « Tu ne peux pas me faire ça ! » …
    Je blêmis : hurlait-il à Dieu ou à moi ?
    — … J’ai craint que sa colère ne lui commande d’embraser l’endroit. Mais il est sorti en courant, m’a ordonné froidement de faire murer la chambre. Je ne l’ai pas revu de un mois. Personne ne l’a revu de un mois, pas même ses plus proches amis. Il n’est point paru à l’enterrement, à Londres, en les églises. N’a pas même vu la naissance de Mathilde. Je l’ai fait chercher partout dans le royaume, discrètement, effrayée à l’idée qu’il se soit jeté du haut d’une falaise ou qu’il y ait basculé par accident. Et puis un matin l’a vu reparaître. Aussi brutal qu’avait été son départ fut son retour. Il a forcé ma porte, exigé que mes dames sortent, puis m’a couchée sur le sol, à même un des tapis, pour me prendre sans tendresse. « Dis-lui de revenir ! » m’a-t-il demandé, après, et pour seule explication, avant de claquer le battant.
    Mon cœur cessa de battre. Aliénor me l’arracha.
    — C’est alors que j’ai compris ce qui minait Henri. Il t’aime, Loanna, sans doute plus qu’il ne m’aime, moi. Mais cela m’est égal. Je comprends. Je comprends ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve.
    Elle me prit la main, la broya.
    — Que signifie ce royaume, cet empire, s’il se construit sans toi ? Certes, nous sommes à même, lui et moi, de le diriger, de le rendre prospère et novateur. Mais, dans le souffle du vent qui balaie nos chevauchées, c’est ton rire, ce sont tes conseils, ta prescience que nous cherchons à entendre. Lui comme moi. Nous avons…
    — Il m’a forcée, la coupai-je.
    Le sang quitta son visage. Durant quelques secondes, elle se tut, asséchée, puis se leva pour aller se planter devant les flammes de l’âtre. Seuls leur crépitement et le chant léger d’Eloïn qui berçait la petite Mathilde troublèrent notre mutisme. Je m’en voulais déjà de mon aveu. Il avait jailli malgré moi. Je cherchai les mots, d’autres mots. Ils ne vinrent pas. Elle se racla la gorge.
    — Tu ne le lui pardonneras pas, n’est-ce pas ?
    — Et toi ?
    Un temps de silence. À douter d’elle-même certainement, puisque sa voix se fit rêche :
    — Ses maîtresses sont nombreuses, Loanna. Il m’en arrive l’écho parfois. L’idée qu’il couche sous lui d’autres femmes pique mon orgueil mais je me défends d’en souffrir. Parce que j’ai accepté, en portant son premier fils, d’être un ventre pour sa descendance. Ce qu’aucune autre ne lui donnera.
    — Ce n’était pas ma question…
    Elle se retourna, lentement, dans le jeu mouvant d’une teinte ambrée qui mêlait sur ses traits l’ombre et la lumière. Ils étaient tristes.
    — Non. Je ne le lui pardonnerai pas et veillerai à ce que cela ne se reproduise pas. Pour autant ma quête reste entière. Je ne veux pas de nouveau perdre un royaume. Et pour le garder, j’ai besoin de

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