Le règne du chaos
Dieu, Lui, le saura. Vous prenez grand plaisir à exercer le pouvoir de vie ou de mort. Vous avez gagné en importance, vous réjouissant de vos actes et de ce que vous avez accompli. Vous suivez votre chemin dans la certitude de votre toute-puissance, du moins le croyez-vous, mais vos victimes se glissent dans l’ombre de chaque côté de vous. Un jour elles vous demanderont des comptes.
— Mathilde, commenta mon interlocuteur avec un sourire suffisant, vous auriez dû entrer dans les ordres.
— À votre exemple, mon frère ?
Il haussa les épaules, esquissa une bénédiction de dérision et tourna les talons.
Je retournai près de la reine. Elle congédia ses écuyers et tapota le siège près d’elle.
— Mathilde, vous avez bien des questions ? Je sais que votre esprit en fourmille. Étais-je au courant ? Dunheved m’a confié ce qu’il avait appris de Lanercost. Il m’a dit de veiller, car Dieu punirait les Aquilae. Je ne m’en suis pas vraiment souciée.
Elle joua avec une de ses bagues.
— Je ne pouvais communiquer, même à vous, mes pires soupçons. Gaveston voulait-il vraiment ma disparition ? Et surtout…
Ses beaux yeux s’emplirent de larmes.
— … mon époux la désirait-il ? J’ai résolu de résister, de détourner le cœur du roi de son favori et de son engeance.
— Ils l’ont reconnu, intervins-je. Rosselin ainsi que Gaveston ont dit que vous étiez plus rusée qu’un serpent. Gaveston a admis que je lui avais évité un terrible péché, c’est-à-dire votre mort et celle de votre enfant à venir. Rosselin et ses compagnons en sont aussi venus à regretter leur vilenie, mais c’était trop tard. Ils n’ont pas dû comprendre qui était leur ennemi caché. Vous ? Gaveston ? Le roi ?
— Mes peurs me hantaient, murmura Isabelle. Ce n’était, en fin de compte, qu’une question de pouvoir. Édouard devait décider soit de nous sauver lui, moi et notre enfant, soit de sauver Gaveston. Il a choisi.
— Votre Grâce aurait pu me faire part de tout cela.
— De quoi ? Que Dunheved était un meurtrier ? Je n’ai commencé à le soupçonner qu’après Scarborough. Pendant quelque temps j’ai pensé que c’était Gaveston qui se débarrassait des siens. Il m’obsédait. Je ne pouvais le croire capable de cette atrocité ; enfin, pas jusqu’à Tynemouth, qui a suffi à me convaincre. J’ai interrogé Dunheved à son retour de Warwick pour savoir s’il avait trempé dans le trépas des Aquilae. Il l’a nié et a accusé Gaveston. Il ne reconnaîtra jamais ses crimes, ni devant moi ni devant le roi. Vous, il vous méprise et estime que vous n’êtes qu’une souillon de cuisine indigne d’intérêt. Je ne me suis pas vraiment souciée des Aquilae. Après Tynemouth, je me m’inquiétais que de mon enfant. J’ai affronté Édouard.
Elle tourna vers moi ses yeux bleus débordant de larmes.
— Il n’a pas réfuté la possibilité que Gaveston puisse me vouloir du mal.
— Avez-vous menacé le roi ?
— En effet, Mathilde. J’ai menacé le roi, le père de mon enfant. Je lui ai jeté à la face que Gaveston connaissait l’histoire de l’enfant échangé. Gaveston, ai-je hurlé, le tenait-il en son pouvoir ? Il n’a rien dit.
Elle soupira.
— Or, comme vous le savez, des navires français, profitant de la crise qui s’amplifiait, ont croisé le long de la côte. À Whitby j’ai communiqué avec le chef de la flotte ; le capitaine de La Vouivre était mon émissaire. Il apportait des missives de mon père qui offrait son aide. J’ai répondu que, si nécessaire, je m’enfuirais d’Angleterre à bord d’un bateau français.
— Mais vous ne vous y êtes point résolue.
— C’est vrai, Mathilde, je suis allée à York. J’ai imploré mon époux de se séparer de Gaveston et de lui permettre de se rendre au château de Scarborough. N’importe où, mais loin de nous. J’ai pressé Dunheved de me soutenir, ce qu’il a fait. J’ai aussi précisé au roi que si Gaveston ne s’exilait pas, moi je le ferais.
Ma surprise la fit sourire.
— J’ai menacé de chercher refuge dans l’église d’Holcombe, puis de demander qu’on m’escorte jusqu’au port le plus proche afin de m’embarquer pour mon comté de Ponthieu. Une fois là, j’aurais revêtu des habits de veuve, serais entrée dans un couvent et aurais proclamé que, jusqu’à ce que Gaveston quitte l’Angleterre, je n’avais plus d’époux.
— Ce qui
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