Le règne du chaos
d’arrogance.
— De quoi ?
Il se rassit, les mains serrées.
— Ne vous l’ai-je pas dit, madame ?
Il sourit.
— J’ai reçu la confession de Lord Gaveston.
— Qu’on ne peut révéler, daubai-je.
— La nuit précédant sa capture, il m’a avoué après l’absolution qu’il avait occis tous les Aquilae exactement de la façon que vous m’avez décrite.
Dunheved prit un air pensif.
— Échec et encore échec, soufflai-je. Vous bloquez chaque pièce que je déplace. Oh, je vous connais, mon frère ! Vous exigerez d’être jugé par les tribunaux de l’Église qui sont plus cléments. Vous clamerez votre innocence et accuserez Gaveston, en usant des preuves mêmes que je viens de vous fournir. Vous créerez assez de confusion, sèmerez assez de doutes pour faire annuler tous les débats, et, bien sûr, le roi n’apprécierait point de voir son confesseur exposé au déshonneur public.
— Plus important encore, madame, riposta Dunheved en me désignant d’un doigt accusateur, vous pourriez devenir un objet de risée, la jouvencelle qui a prononcé de fausses accusations contre le confesseur royal.
— Soyez prudent, mon frère, l’avertit Isabelle d’une voix gutturale. Soyez prudent, très prudent.
— Votre Grâce, murmura le dominicain, je ne fais que dire ce que d’autres diraient, que Gaveston a occis les siens pour des raisons égoïstes. Il n’avait que faire des autres. Nous en convenons tous. Il était mauvais et a maintenant obtenu sa juste récompense. Permettez-moi de vous rappeler, Votre Grâce, que c’était un homme qui a tenté de vous livrer aux Écossais, les ennemis mortels du souverain ; qui a mis en danger votre vie et celle de votre enfant à naître.
— Et comment expliquerez-vous le meurtre de frère Eusebius ? l’incriminai-je. Il est étrange, ajoutai-je en joignant le geste à la parole, que lors de nos nombreuses rencontres vous ne m’ayez guère interrogée à son sujet. À Tynemouth, quand j’ai fait allusion à sa mort, vous avez soudain changé de sujet pour vous intéresser à Kennington. Pourquoi, mon frère ? Vous sentiez-vous coupable ou étiez-vous sur vos gardes de peur qu’une discussion ne trahisse une erreur de votre part ? Après tout, vous avez failli être surpris quand je suis allée à l’ossuaire. Vous avez dû fuir, en fermant la trappe derrière vous. Mon frère, vous m’avez écartée avec mépris ; j’étais quelqu’un qu’il fallait traiter avec condescendance. Une stupide bachelette qui fourrait son nez partout et qu’on pouvait effrayer, ce que vous avez essayé de faire quand je me suis rendue dans le clocher après la mort de Lanercost. Vous avez mis les cloches en branle.
— Mon frère ! siffla Isabelle, Mathilde appartient à ma maison, à ma chambre !
— Pauvre Eusebius ! continuai-je. Vous le pensiez fol, mais il était plus malin. C’est lui, en réalité, qui vous a donné l’idée du couplet sur les Aquilae montant si haut. Il m’a narré comment Theobald, le novice éperdu d’amour, a voulu voler tel un ange. Vous vous êtes lié d’amitié avec Eusebius, mais il a perçu des changements de détails. Il entretenait des soupçons à votre égard. Peut-être espérait-il quelques pièces de plus de votre part. En évoquant une linotte, c’était lui qu’il évoquait et il a demandé au prieur si une linotte pouvait se montrer plus rusée qu’un chien. Il faisait un jeu de mots sur le nom de votre ordre : Domini Canes – les chiens, les lévriers du Seigneur. Il a aussi parlé de lux et tenebrae – de lumière et de ténèbres –, une allusion à vos manières d’agir en secret, ainsi qu’à votre robe noir et blanc. Eusebius se croyait en sécurité. Il s’amusait beaucoup. Il a gravé un dessin sur le mur de son réduit dans le clocher ; une linotte et ce qui ressemblait à un chien velu ou à un léopard. En fait c’était un loup déguisé en mouton. C’est de vous qu’il s’agissait, car Eusebius était certain de vous avoir aperçu franchissant en hâte le grand porche le jour où Leygrave a été tué. Vous avez administré les derniers sacrements à Leygrave. Eusebius n’était pas loin. Il a bavardé avec moi et m’a laissé entendre qu’il en savait plus qu’il n’en avait dit. En réalité il vous menaçait discrètement. Vous l’avez appris par hasard et avez décidé de le faire taire. Vous l’avez suivi dans le charnier et lui avez fait éclater
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