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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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compartiments de la mémoire de mon âme. Dans la vie comme dans la mort, ces démons côtoient les anges, ceux qui m’ont traitée avec douceur et qui ont soigné mes blessures. Mon oncle aux cheveux gris, l’aimable Réginald de Deynecourt, médecin général à Paris ; Bertrand Demontaigu, le templier qui se dissimulait dans la maisnie de ma maîtresse en se faisant passer pour clerc, le seul homme que j’aie jamais vraiment aimé. Je me souviens certes de celui que mes yeux ne voient plus. Je ne peux pas peindre son visage avec précision, mais je me le rappelle si bien : émacié, mat et sévère, encadré de cheveux noirs coupés ras. C’est la figure d’un prêcheur, à l’austérité vite tempérée par la douceur de beaux yeux gris comme la mer et par ces profondes rides creusées par le rire autour de la bouche.
    Demontaigu, portant une tunique d’un pourpre sombre et des bottes de cavalier en cuir de Cordoue, est installé au bout de la haute table ; ses doigts effilés serrent une plume d’oie et une croix rougeâtre de templier pend à son cou. Oncle Réginald et Ap Ythel, le capitaine à l’air inflexible de la garde personnelle d’Édouard, sont assis à ses côtés. Un peu à l’écart, ils se restaurent de saines nourritures, d’aliments frais et de pain de gruau. Des détails fantastiques, une mosaïque de divers symboles, des formes extravagantes et d’innombrables chimères dissimulent mes autres convives. Le palais de Balthazar n’est pas un lieu de lumière et de vie, mais une étendue de terres sombres, le vestibule de l’Hadès, les sinistres enclos qui abritent les tombes de l’Enfer. J’ai convoqué les ectoplasmes, les spectres, les pâles et exsangues esprits pour qu’ils viennent hanter mon tableau dans ce couloir froid et désert. Ces démons dévorent de répugnants scorpions et des crapauds ardents et le vin qu’on leur verse ressemble à l’eau stagnante d’un égout. Des serviteurs rôdent, tels des diables aux plumes noires. Ils s’affairent auprès des grands de ce monde. D’abord Philippe de France, à la chevelure argentée, aux yeux bleus implacables, au rictus narquois désavouant ses airs presque dévots, Philippe, meurtrier de Jeanne de Navarre, son épouse. Il est encadré par ses trois fils : Louis, rouquin comme une fouine ; Philippe, grand et dégingandé, se grattant le visage, bouche entrouverte, comme dans la vie quand il croyait que son redoutable père, mort, marchait encore près de lui ; à ses côtés, Charles, blond et grassouillet, une main tendue comme d’habitude vers le pichet de vin, l’autre caressant sous la table un porc jouant de la cornemuse. Derrière le roi de France se trouvent ses trois familiers, ces verrats humains, ces limiers, les épieurs de Philippe. Ces suppôts de Satan qui n’ont cessé d’œuvrer dans l’ombre pour réduire en cendres l’ordre du Temple et envoyer mon oncle et d’autres innocents au grand échafaud dominant la vaste fosse de Montfaucon. Oui, les hommes de loi de Philippe, qui pensaient pouvoir piller l’Enfer et s’en sortir indemnes. Ils sont là debout dans leurs justaucorps festonnés doublés de fourrure de rat. Je leur ai dessiné des capuchons à oreilles de singe et, chacun de leur souffle n’étant que fourberie, une pierre à aiguiser et un pot de chambre, un urinal débordant, pendent à leur cou. Primus inter pares 2 , Enguerrand de Marigny, Lord Goupil, principal conseiller du souverain ; puis ses deux autres complices en meurtre : Guillaume de Nogaret, le visage bouffi comme une bouse, et Guillaume de Plaisians, un blond à tête de mastiff. À une autre table ont pris place les barons d’Angleterre. Édouard de Caernarvon, roi bien que niais, avec ses cheveux d’or chatoyant, sa moustache et sa barbe. Près de lui, le brun Peter Gaveston, les traits fins comme une femme, avec ses yeux doux et sa bouche rieuse dissimulant un cœur plein de fourberie meurtrière. Au-dessus de leurs têtes, plumes noires et blanches tout hérissées, bec jaune pointu prêt à piquer, une pie est perchée sur une barre.
    J’ai achevé cette partie de ma délivrance de mon propre enfer la veille de l’Annonciation, quand l’hiver mourant va à la rencontre d’un printemps croissant. Les scènes m’ont ramenée à ma chronique, à cette époque sanglante d’il y a bien longtemps, ce temps de Pâques fleuries de 1312, lorsqu’un affreux massacre dans les landes hantées autour de

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