Le rêve de Marigny
d’excellentes raisons ?
— Nous avons deux bons points d’appui, mon frère. Vous voilà pourvu, comme le marquis de Seigneley, d’un homme de lettres et d’un architecte pour vous escorter et vous guider dans votre grand tour. Il vous manque encore un artiste. Prenez contact avec l’abbé Le Blanc et Jacques-Germain Soufflot, demandez-leur de vous aider à trouver votre troisième compagnon. Un peintre ? Un sculpteur ? C’est à voir. Quand le choix en sera fait nous serons alors parés.
Abel demeura pensif. L’entreprise était d’envergure, le voyage coûterait cher. On imaginait mal que le roi pût en couvrir les frais.
— Il reste… l’argent, dit-il.
— Le problème est résolu.
— Vraiment ?
— Monsieur Pâris de Montmartel se charge d’organiser la partie matérielle du voyage.
— En quoi ce projet le concerne-t-il ?
— Les frères Pâris souhaitent donner du poids au futur Directeur des Bâtiments du Roi.
Vandières ne fit aucun commentaire. Les Pâris n’étaient pas des mécènes, c’étaient d’habiles financiers. Ils faisaient un prêt, une avance, au futur Directeur des Bâtiments. Il faudrait rendre, et ce serait à leur convenance. Qu’importe, d’autres problèmes restaient en suspens.
— Il faudra aussi paraître, et cela coûte.
— C’est évident, mais n’ayez pas d’inquiétude, monsieur de Tournehem songe au moyen de vous accorder une part du bénéfice des Fermes. Vous pourrez vous montrer fastueux, et il le faudra pour votre prestige.
— Il faut aussi mesurer ce qu’il en coûtera à mes cicérones de rester deux ou trois années sans revenus.
Sans s’impatienter de tant d’objections Jeanne émit un rire spontané qu’on ne lui connaissait plus guère depuis qu’elle demeurait à Versailles .
— Pensez-vous que monsieur de Tournehem ne s’en soit pas soucié ? L’abbé Le Blanc sera nommé historiographe des Bâtiments, avec une pension de 1 500 livres, et dans quelques jours monsieur Soufflot sera élu membre de l’Académie d’architecture. Notre oncle vient d’en exprimer le souhait pressant à Gabriel.
Abel accueillit la nouvelle avec un sourire ironique. Il ne lui déplaisait pas que le présomptueux personnage fût contraint de plier.
— Trouvez-vous un troisième compagnon et nous veillerons à ce qu’il soit pourvu.
Il n’était guère de secret qu’on pût protéger à la cour. Le voyage de monsieur de Vandières était en cette fin d’année 1749 au cœur de toutes les conversations. Sans qu’on pût remonter le fil des informations et deviner qui avait lâché l’un ou l’autre des indices, les détails de l’opération étaient commentés de belle façon. Ceux-là qui s’adonnaient à la passion délicieuse des bruits étaient depuis si longtemps implantés dans la taupinière qui les abritait et leur donnait l’impression d’exister que le moindre repère pouvait leur permettre de démêler la trame d’un événement à partir des indices les plus menus et les plus disparates. Ils connaissaient tout, de tout le monde, et quand ils ne savaient pas ils inventaient. Ils brodaient avec férocité sur la plus minuscule information, ils transformaient, ils extrapolaient, ils imaginaient, ils créaient leur vérité, et quelquefois ils tombaient juste. Ils connaissaient si bien leur monde.
— Vandières part en voyage…
— Grand bien lui fasse !
— Il va en Italie.
— Qu’il y reste !
— N’y comptez pas trop. Il reviendra !
— Dans le royaume sans doute, mais à la cour… Les choses pourraient avoir évolué.
— Allons ! Vous connaissez la chanson ?
Autrefois de Versailles
Nous venait le bon goût
Aujourd’hui la canaille
Règne et tient le haut bout !
— Vous avez raison, les temps ont changé. Les manières aussi.
— Comment seraient-elles raffinées ?
N’est-ce pas de la Halle
Que nous vient le poisson ?
Les ricanements saluaient la nouvelle poissonnade. Il y avait toujours alors un esprit plus chagrin pour ramener les rieurs à de légitimes inquiétudes.
— La belle équipée que voilà, elle va coûter cher au trésor ! Où donc monsieur de Noailles trouvera-t-il l’argent ?
— Il lui faudra inventer de nouvelles taxes. Vandières part en grand arroi. On lui donne des architectes, des dessinateurs, des historiographes. Avec les domestiques cela fera une jolie troupe.
— Je ne suis pas certain qu’il y ait tant de gens pour
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