Le rêve de Marigny
encombrait encore l’espace. Marigny eut alors le sentiment que pour renouer avec lui-même il lui fallait quitter la place. Une autre maison l’aiderait à faire table rase d’une expérience matrimoniale qui avait été désastreuse. Il se prit à rêver. Paris ne manquait pas de belles demeures. Il dressa le catalogue des hôtels qu’il aimeraitacquérir. Il cherchait un nouvel angle pour attaquer la vie ? C’était fait, il avait trouvé ! Il allait déménager. Le beau projet que de déménager ! Quand on change d’endroit, ne change-t-on pas de vie ? Le 11 janvier 1778, il acheta un hôtel situé place des Victoires. Une nouvelle maison à installer ? Une des plus belles passions de Marigny le reprenait. Il se transporta donc, et ce fut avec impatience, d’une maison dans une autre, et ce fut en grand arroi de meubles et d’objets d’art aussi précieux qu’encombrants. Il lui fallait du mouvement !
Abel s’enfuyait droit devant, son échappée ne le menait que jusqu’à la place des Victoires mais cela aurait pu être n’importe où pourvu qu’il y trouvât un intérêt provisoire, une occupation intérimaire. À quoi servait de changer de place, de changer de lieu, des tableaux, des statues, des fauteuils ? Il n’était plus temps de se démener dans des entreprises illusoires au sein des maisons qu’il connaissait par cœur. Tout serait mieux ailleurs, car tout serait nouveau. Un autre temps commençait. Il serait meilleur, Marigny s’y appliquerait.
Allons… il y avait là quelque chose qui blessait. Les choses n’étaient pas d’aplomb comme dans une belle ordonnance. Qui parlait de Marigny ? Qu’avait donc à faire Marigny dans une vie nouvelle ? Marigny n’existait plus, c’était l’intendant des Bâtiments du Roi. Il n’y avait plus coïncidence entre Abel Poisson et Marigny. Il fallait changer de nom. Il allait prendre celui de la demeure qu’il aimait plus que toute autre, la maison qui avait été celle de Jeanne et qu’elle lui avait léguée. Ménars ! Jeanne avait aimé Ménars. Soufflot avaitpeaufiné pour lui ce joyau. Il allait prendre nom Ménars. Oui, monsieur de Ménars irait bien, marquis de Ménars puisque la terre de longue date avait été érigée en marquisat. Il en demanda la permission au roi que le problème laissait insensible et qui entérina ce changement d’identité. Abel Poisson de Vandières, marquis de Marigny, sera désormais connu sous le nom de marquis de Ménars. Qu’on se le dise ! Marigny avait vécu, Ménars était un autre homme. La vie peut-être pouvait recommencer.
Abel se sentit soulagé, tout était réglé. Non ! Il restait encore à Paris une marquise de fraîche date qu’on désignait du nom de Marigny. Abel soupira, on n’en avait donc jamais fini avec l’institution du mariage ! Le 20 janvier de l’année 1778, il prit sa plume.
« Je ne veux point, madame, écrit-il, que vous appreniez par la gazette que le roi a bien voulu me permettre de porter à l’avenir le nom de marquis de Ménars.
Il est sans doute très indifférent de s’appeler Poisson de Marigny ou Poisson de Ménars, mais nous sommes tant à Paris qu’en province au moins vingt qui nous appelons Marigny, et c’est pour éviter les fréquentes et souvent désagréables méprises qui résultent de cette conformité de nom que j’ai supplié Sa Majesté de me permettre de porter celui de Ménars. Peut-être l’intention où je suis de me retirer un jour dans cette terre y a-t-elle contribué.
Autrefois les femmes portaient le nom de leur mari. Si cet ancien usage subsiste encore, vous voudrez bien prendre celui de marquise de Ménars dès que notoriétéde la permission du roi aura été dénoncée par la gazette. »
Julie n’était pas frondeuse. Il ne lui importait que de rester marquise et d’être bien pourvue d’argent. Elle répondit d’élégante manière.
« Je prendrai avec plaisir le nom qui vous plaît et je crois devoir suivre vos désirs.
Acceptez, monsieur, les sentiments que je vous dois. »
Pouvait-on concevoir épouse plus docile ?
Devant cette perle de prose conjugale les yeux d’Abel restèrent un instant voilés. Il eut en cet instant le regard étonné de l’enfant que Jeanne tançait.
— Allons, frérot, ne rêvez pas ! Il faut se battre et faire son chemin.
Un rêve un peu flou l’habitait encore, ou plutôt un regret mal défini. Il évoqua un instant Julie qui lui avait été un moment
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