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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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avait commencé par ruser, continuant d’accabler Jacques de
Molay de faveurs et d’amitiés. Le grand-maître n’était-il pas le parrain d’un
de ses enfants ? Le grand-maître n’était-il pas le soutien du
royaume ?
    Mais bientôt une ordonnance
transférait le Trésor royal de la tour du Temple à la tour du Louvre. En même
temps une sourde, une venimeuse campagne de dénigrement était montée contre les
Templiers. On disait et faisait dire, dans les lieux publics et les marchés,
qu’ils spéculaient sur les grains, qu’ils étaient responsables des famines, qu’ils
songeaient davantage à grossir leurs biens qu’à reprendre aux païens le Tombeau
du Christ. Comme ils avaient le rude langage des militaires, on les accusait
d’être blasphémateurs. On avait fait locution d’usage du terme « jurer
comme un Templier. » De blasphémateur à hérétique, la distance est brève.
On affirmait qu’ils avaient des mœurs hors nature et que leurs esclaves noirs
étaient des sorciers…
    « Bien sûr, tous nos frères ne
se conduisaient pas en saints et, à beaucoup, l’inaction ne valait guère. »
    On disait surtout qu’au cours des
cérémonies de réception, on obligeait les néophytes à renier le Christ, à
cracher sur la Croix, et qu’on les soumettait à des pratiques obscènes.
    Sous le prétexte de mettre fin à ces
rumeurs, Philippe avait offert au grand-maître, pour l’honneur de l’Ordre,
d’ouvrir une enquête.
    « Et j’ai accepté…, pensait
Molay. J’ai été abominablement abusé, j’ai été trompé. »
    Car, un jour d’octobre 1307…
Ah ! Comme Molay se souvenait de ce jour-là… « C’était un vendredi
13… La veille encore il m’embrassait et m’appelait son frère, en me donnant la
première place aux obsèques de sa belle-sœur l’impératrice de Constantinople…»
    Donc, le vendredi 13 octobre 1307,
le roi Philippe, par un gigantesque coup de filet policier préparé de longue main,
faisait arrêter à l’aube tous les Templiers de France, au nom de l’Inquisition,
sous l’inculpation d’hérésie. Et le garde des Sceaux Nogaret venait lui-même se
saisir de Jacques de Molay et des cent quarante chevaliers de la maison mère…
    Un ordre fut lancé qui fit sursauter
le grand-maître. Les archers serraient les rangs. Messire Alain de Pareilles
avait coiffé son casque ; un soldat tenait son cheval et lui présentait
l’étrier.
    — Allons, dit le grand-maître.
    Les prisonniers furent poussés vers
le chariot. Molay y monta le premier. Le commandeur d’Aquitaine, l’homme qui
avait repoussé les Turcs à Saint-Jean-d’Acre, semblait frappé d’hébétude. Il
fallut le hisser. Le visiteur général remuait les lèvres, sans arrêt. Lorsque
Geoffroy de Charnay grimpa à son tour dans la voiture, un chien invisible se
mit à hurler, quelque part du côté des écuries.
    Puis, tiré par quatre chevaux de
file, le lourd chariot s’ébranla. Le grand portail s’ouvrit et une immense
clameur s’éleva. Plusieurs centaines de personnes, tous les habitants du
quartier du Temple et des quartiers voisins, s’écrasaient contre les murs. Les
archers de tête durent s’ouvrir chemin à coups de manches de pique.
    — Place aux gens du roi !
criaient les archers.
    Droit sur son cheval, l’air
impassible et toujours ennuyé, Alain de Pareilles dominait le tumulte.
    Mais quand les Templiers parurent,
la clameur tomba d’un coup. Devant ces quatre vieux hommes décharnés, que le
cahot des roues pleines jetait les uns contre les autres, les Parisiens eurent
un moment de stupeur muette, de compassion spontanée.
    Puis il y eut des cris :
« À mort ! À mort, les hérétiques ! » lancés par des
sergents royaux mêlés à la foule. Alors, les gens qui sont toujours prêts à
crier avec le pouvoir et à faire les orageux quand ils ne risquent rien
commencèrent un beau concert de gueule :
    — À mort !
    — Voleurs !
    — Idolâtres !
    — Voyez-les ! Ils ne sont
plus si fiers, aujourd’hui, ces païens ! À mort !
    Insultes, moqueries, menaces
s’élevaient le long du cortège. Mais cette fureur restait maigre. La plus
grande partie de la foule continuait à se taire, et son silence, pour prudent
qu’il fût, n’en était pas moins significatif.
    Car, en sept ans, le sentiment
populaire s’était modifié. On savait comment avait été conduit le procès. On
avait vu des Templiers, à la porte des églises, montrer aux

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