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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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et le menton fin, il forçait la voix pour
faire l’homme.
    Tout en dépêtrant la laisse, il
continuait :
    — Non sipuo vedere un cretino peggiore… [7]
    Mais déjà les trois sergents
l’encadraient ; l’un d’eux le prit par le bras et lui dit un mot à
l’oreille. Aussitôt le jeune homme ôta son bonnet et s’inclina avec un grand
geste de respect.
    Un rassemblement discret s’était
formé.
    — Voilà de beaux chiens de
courre ; à qui sont-ils ? demanda le promeneur en dévisageant le
garçon de ses yeux immenses et froids.
    — À mon oncle, le banquier
Tolomei… pour vous servir, répondit le jeune homme en s’inclinant une seconde
fois.
    Sans rien ajouter, l’homme au
chaperon blanc poursuivit son chemin. Quand il se fut un peu éloigné, ainsi que
les sergents, les gens s’esclaffèrent autour du jeune Italien. Celui-ci n’avait
pas bougé de place et semblait avoir quelque peine à digérer sa méprise ;
les chiens eux-mêmes se tenaient cois.
    — Eh bien ! Il n’est plus
tout faraud ! disait-on en riant.
    — Regardez-le ! Il a
manqué jeter le roi par terre, et de surcroît il l’a injurié.
    — Tu peux t’apprêter à coucher
cette nuit en prison, mon garçon, avec trente coups de fouet.
    L’Italien fit front aux badauds.
    — Eh quoi ! Je ne l’avais
jamais vu ; comment le pouvais-je reconnaître ? Et puis apprenez,
bonnes gens, que je suis d’un pays où il n’y a pas de roi pour qui l’on doive
se coller contre les murs. Dans ma ville de Sienne, chaque citoyen peut être
roi à son tour. Et qui veut prendre en gire Guccio Baglioni n’a qu’à le
dire !
    Il avait lancé son nom comme un
défi. L’orgueil susceptible des Toscans assombrissait son regard. Il portait au
côté une dague ciselée. Personne n’insista ; le jeune homme claqua des
doigts pour relancer ses chiens et continua sa route, moins assuré qu’il ne
voulait le paraître, en se demandant si sa sottise n’aurait pas de fâcheuses
conséquences.
    Car c’était bien le roi Philippe le
Bel qu’il venait de bousculer. Ce souverain que nul n’égalait en puissance
aimait ainsi marcher à travers sa ville, comme un simple bourgeois, se
renseignant sur les prix, goûtant les fruits, tâtant les étoffes, écoutant les
propos. Il prenait le pouls de son peuple. Des étrangers, parfois,
s’adressaient à lui pour trouver leur chemin. Un soldat, un jour, l’avait
arrêté lui réclamant un arriéré de paye. Aussi avare de paroles que d’argent,
il lui arrivait rarement, au cours de sa promenade, de prononcer plus de trois
phrases, ou de dépenser plus de trois sols.
    Le roi passait par le marché à la
viande, lorsque le bourdon de Notre-Dame se mit à sonner, en même temps qu’une
grande rumeur s’élevait.
    — Les voilà ! Les
voilà ! cria-t-on dans la rue.
    La rumeur se rapprochait ; des
passants se mirent à courir dans sa direction.
    Un gros boucher sortit de derrière
son étal, le tranchet à la main, en hurlant :
    — À mort les hérétiques !
    Sa femme l’accrocha par la manche.
    — Hérétiques ? Pas plus
que toi, dit-elle. Reste donc ici à servir la pratique, tu seras plus utile,
grand fainéant.
    Ils se prirent de bec. Aussitôt un
attroupement se fit autour d’eux.
    — Ils ont avoué devant les
juges ! continuait le boucher.
    — Les juges ? répliqua
quelqu’un. On n’en connaît que d’une sorte. Ils jugent à la commande de ceux
qui les payent.
    Chacun voulut alors faire entendre
son avis.
    — Les Templiers sont de saints
hommes. Ils ont toujours bien fait l’aumône.
    — Il fallait leur prendre leur
argent, mais point les torturer.
    — C’était le roi leur plus fort
débiteur. Plus de Templiers, plus de dette.
    — Le roi a bien fait.
    — Le roi ou les Templiers, dit
un apprenti, c’est du pareil au même. Faut laisser les loups se manger entre
eux ; pendant ce temps-là, ils ne nous dévorent pas.
    Une femme, à ce moment, se retourna,
pâlit, et fit signe aux autres de se taire. Philippe le Bel était derrière eux
et les observait de son regard glacial. Les sergents s’étaient insensiblement
rapprochés, prêts à intervenir. En un instant l’attroupement se dispersa, et
ceux qui le composaient partirent au pas de course en criant bien fort :
    — Vive le roi ! À mort les
hérétiques !
    On aurait pu croire que le roi
n’avait pas entendu. Rien dans son visage n’avait bougé, rien n’y avait paru.
S’il prenait

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