Le Roi de fer
à marcher, du pas
précautionneux et titubant qu’ont les bébés.
— Se peut-il que nous ayons
nous-mêmes été ainsi ! dit d’Artois.
— À vous regarder, mon cousin,
dit la reine en souriant, on l’imagine mal.
Un instant, contemplant Robert
d’Artois, elle songea au sentiment que pouvait connaître la femme, petite et
menue, qui avait engendré cette forteresse humaine ; puis elle reporta les
yeux sur son fils.
L’enfant avançait, les mains tendues
vers le foyer, comme s’il eût voulu saisir une flamme dans son poing minuscule.
Robert d’Artois lui barra le chemin
en avançant la jambe. Nullement effrayé, le petit prince saisit cette botte
rouge dont ses bras arrivaient à peine à faire le tour, et s’y assit à
califourchon. Le géant se mit à balancer le pied, élevant et abaissant l’enfant
qui, ravi de ce jeu imprévu, riait.
— Ah ! Messire Edouard,
dit d’Artois, oserai-je plus tard, quand vous serez puissant seigneur, vous
rappeler que je vous ai fait ainsi chevaucher ma botte ?
— Vous le pourrez, mon cousin,
vous le pourrez toujours, si toujours vous vous montrez notre loyal ami… Qu’on
nous laisse maintenant, dit Isabelle.
— Alors, veuillez reprendre
terre, messire, dit d’Artois en posant le pied.
Les dames françaises se retirèrent
dans la pièce attenante, emmenant l’enfant qui, si le destin suivait un cours
naturel, deviendrait un jour le roi d’Angleterre.
D’Artois attendit un instant.
— Eh bien ! Madame,
dit-il, pour parfaire les leçons que vous donnez à votre fils, vous pourrez lui
enseigner que Marguerite de Bourgogne, petite-fille de Saint Louis, reine de
Navarre et future reine de France, est en bon chemin d’être appelée par son
peuple Marguerite la Putain.
— En vérité ? dit
Isabelle. Ce que nous pensions était donc vrai ?
— Oui, ma cousine. Et point
seulement pour Marguerite. Pour vos deux autres belles-sœurs pareillement.
— Jeanne et Blanche ?…
— Blanche, j’en suis assuré.
Jeanne…
Robert d’Artois, de son immense
main, fit un geste d’incertitude.
— Elle est plus matoise que les
autres, dit-il ; mais j’ai toutes raisons de la croire aussi fieffée
garce.
Il bougea de trois pas, et se campa
pour lancer :
— Vos trois frères sont cocus,
Madame, cocus comme des manants !
La reine s’était levée, les joues un
peu colorées.
— Si ce que vous m’annoncez est
sûr, je ne le tolérerai pas. Je ne tolérerai pas semblable honte, et que ma
famille soit objet de risée.
— Les barons de France,
croyez-le, ne le supporteront pas non plus.
— Avez-vous les noms, les
preuves ?
D’Artois respira un grand coup.
— Quand vous vîntes en France,
l’été passé, avec messire votre époux, pour ces fêtes qui furent données où
j’eus l’honneur d’être armé chevalier en même temps que vos frères… car vous
savez qu’on ne marchande pas les honneurs qui ne coûtent rien… à ce moment-là,
je vous ai confié mes soupçons et vous m’avez dit les vôtres. Vous m’avez
demandé de veiller et de vous renseigner. Je suis votre allié ; j’ai fait
l’un et je viens accomplir l’autre.
— Alors ? Qu’avez-vous
appris ? demanda Isabelle impatiente.
— D’abord, que certains joyaux
disparaissaient de la cassette de votre douce belle-sœur Marguerite. Or, quand
une femme se défait secrètement de ses bijoux, c’est ou bien pour combler un
galant, ou bien pour s’acheter un complice. Sa gueuserie est claire, ne
trouvez-vous pas ?
— Elle peut prétendre en avoir
fait l’aumône à l’Église.
— Pas toujours. Pas si certain
fermail, par exemple, a été échangé chez un certain marchand lombard contre un
certain poignard de Damas…
— Et vous avez découvert à
quelle ceinture était pendu ce poignard ?
— Hélas ! Non, répondit
d’Artois. J’ai cherché, mais j’ai perdu la trace. Nos belles sont habiles. Je
n’ai jamais couru cerfs dans mes forêts de Conches qui s’entendissent mieux à
brouiller leur voie et à prendre les faux-fuyants.
Isabelle eut une mine déçue. Robert
d’Artois prévint ce qu’elle allait dire en étendant les bras.
— Attendez, attendez,
s’écria-t-il. Je suis bon veneur et manque rarement mon animal d’attaque…
L’honnête, la pure, la chaste Marguerite s’est fait aménager en petit logis la
vieille tour de l’hôtel de Nesle, afin, selon son dire, de s’y retirer pour
oraison. Mais il
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