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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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paraît bien qu’elle y fait oraison tout particulièrement les
nuits où votre frère Louis de Navarre est absent. Et la lumière y brille assez
tard. Sa cousine Blanche, parfois sa cousine Jeanne, l’y viennent rejoindre.
Rouées, les donzelles ! Si l’on venait à questionner l’une, elle aurait
beau jeu de dire : « Comment ? De quoi m’accusez-vous ?
Mais j’étais avec l’autre. » Une femme fautive, cela se défend mal. Trois
catins acoquinées, c’est un château fort. Seulement, voilà ; ces mêmes
nuits où Louis est absent, ces mêmes nuits où la tour de Nesle est éclairée, il
se fait sur la berge, au pied de la Tour, en cet endroit ordinairement désert à
pareille heure, un peu trop de mouvement. On a vu sortir des hommes qui
n’étaient pas habillés en moines, et qui, s’ils venaient de chanter le salut,
seraient passés par une autre porte. La cour se tait, mais le peuple commence à
jaser, parce que les valets bavardent avant les maîtres…
    Tout en parlant, il s’agitait, gesticulait,
marchait, faisait vibrer le sol et battait l’air à grands coups de manteau.
L’étalage de son excès de force était, chez Robert d’Artois, un moyen de
persuasion. Il cherchait à convaincre avec ses muscles autant qu’avec ses
mots ; il enfermait l’interlocuteur dans un tourbillon ; et la
grossièreté de son langage, si bien en rapport avec toute son apparence,
semblait la preuve d’une rude bonne foi. Pourtant, à y regarder de plus près,
on pouvait se demander si tout ce mouvement n’était pas parade de bateleur et
jeu de comédien. Une haine attentive, tenace, luisait dans ses yeux gris. La
jeune reine s’appliquait à bien garder sa clarté de jugement.
    — En avez-vous parlé au roi mon
père ? dit-elle.
    — Ma bonne cousine, vous
connaissez le roi Philippe mieux que je ne le connais. Il croit tant à la vertu
des femmes qu’il faudrait lui montrer vos belles-sœurs vautrées avec leurs
galants pour qu’il consentît à m’entendre. Et je ne suis pas si bien en cour,
depuis que j’ai perdu mon procès…
    — Je sais, mon cousin, qu’on
vous a fait tort ; s’il ne tenait qu’à moi, ce tort vous serait réparé.
    Robert d’Artois se précipita sur la
main de la reine pour y poser les lèvres.
    — Mais précisément en raison de
ce procès, reprit doucement Isabelle, ne pourrait-on pas croire que vous
agissez à présent par vengeance ?
    Le géant se redressa vivement.
    — Mais bien sûr, Madame, j’agis
par vengeance !
    Il était d’une franchise désarmante.
On pensait lui tendre un piège, le prendre en défaut, et il s’ouvrait à vous,
tout largement, comme une fenêtre.
    — On m’a volé l’héritage de mon
comté d’Artois, s’écria-t-il, pour le donner à ma tante Mahaut de Bourgogne… la
chienne, la gueuse, qu’elle crève ! Que la lèpre lui mange la bouche, que
la poitrine lui tombe en charogne ! Et pourquoi a-t-on fait cela ?
Parce qu’à force de ruser, d’intriguer et de fourrer la paume en belles livres
sonnantes aux conseillers de votre père, elle est parvenue à marier vos trois
frères à ses deux catins de filles et son autre catin de cousine.
    Il se mit à contrefaire un discours
imaginaire de sa tante Mahaut, comtesse de Bourgogne et d’Artois, au roi
Philippe le Bel.
    — « Mon cher seigneur, mon
parent, mon compère, si nous unissions ma chère petite Jeanne à votre fils
Louis ?… Non, cela ne vous convient plus. Vous préférez lui réserver
Margot. Alors, donnez donc Jeanne à Philippe, et puis ma douce Blanchette à
votre beau Charles. Le plaisir que ce sera qu’ils s’aiment tous ensemble !
Et puis, si l’on m’accorde l’Artois qu’avait mon défunt père, alors ma Comté-Franche
de Bourgogne ira à l’une de ses oiselles, à Jeanne, si vous le voulez ;
ainsi votre second fils devient comte palatin de Bourgogne et vous pouvez le
pousser vers la couronne d’Allemagne. Mon neveu Robert ? Qu’on donne un os
à ce chien ! Le château de Conches, la terre de Beaumont, cela suffira
bien à ce rustre. » Et je souffle malice dans l’oreille de Nogaret, et
j’envoie mille merveilles à Marigny… et j’en marie une, et j’en marie deux, et
j’en marie trois. Et pas plus tôt fait, mes petites garces se mettent à
comploter, à s’envoyer messages, à se fournir d’amants, et s’emploient à bien
hausser de cornes la couronne de France… Ah ! Si elles étaient
irréprochables, Madame, je

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