Le Roman des Rois
basilique bourguignonne proche du royaume de France.
À Vézelay, Louis VII, ses évêques et quelques-uns de ses vassaux, aux premiers rangs desquels Martin et Eudes de Thorenc, ainsi que de nombreux chevaliers du Temple écoutèrent Bernard de Clairvaux. Mon émotion est si forte que ma main tremble encore à retranscrire ses paroles :
« Dieu le veut, et son souverain pontife sur cette terre nous le commande : emparons-nous pour toujours du Saint-Sépulcre ! Or les ennemis de la foi se sont rassemblés. Et la terre tremble. Elle se fend, des abîmes s’ouvrent parce que les Infidèles s’apprêtent à profaner les Lieux saints, ceux où le sang du Christ Notre Seigneur roi s’est répandu !
« Le jour est proche, si nous ne nous mettons pas en marche, revêtus de la croix, si les armées des fidèles ne se portent pas au secours des chevaliers francs de Terre sainte, où les Infidèles se jetteront sur Jérusalem et sur les Lieux saints.
« Des peuples chrétiens sont déjà captifs, d’autres sont égorgés comme des agneaux de boucherie. Or nous sommes la chrétienté, riche en hommes courageux, en chevaliers, en gens d’armes, en jeunes hommes qui peuvent entrer dans la milice du Christ… Que tous s’enrôlent dans les armées de la croisade, qu’elles se mettent en marche vers la Terre sainte ! L’Église protègera les femmes, les enfants et les biens de ceux qui se seront enrôlés. Elle effacera tous les péchés, elle accordera l’absolution et elle conduira, au nom du Seigneur roi, chaque croisé à la Vie éternelle. »
Porteurs de cet appel de Bernard de Clairvaux, Martin et Eudes de Thorenc ont parcouru le royaume de France, le duché d’Aquitaine et les terres voisines de leur fief, sur les hauts plateaux de Cabris.
Lorsqu’ils traversaient les villages, les jeunes gens, écuyers, chevaliers, clercs et paysans, se rassemblaient, puis, en longues colonnes souvent précédées de la croix, se dirigeaient vers Paris où Louis VII réunissait les hommes qui allaient constituer son armée.
Et l’on murmurait que la reine Aliénor d’Aquitaine voulait elle aussi se rendre en Terre sainte.
« J’ai ouvert la bouche, j’ai parlé, disait Bernard de Clairvaux, et aussitôt les croisés se sont multipliés à l’infini. Les villages et les bourgs sont déserts. Vous trouveriez difficilement un homme contre sept femmes. On ne voit partout que des veuves dont les maris sont vivants. »
Mais tout fleuve en crue charrie des arbres morts et des cadavres d’animaux. En Allemagne, un moine cistercien, Rodolphe, prêchait, clamant que la croisade commençait là, en Germanie, contre les impies et les Juifs. Il accusait ces derniers d’égorger de jeunes enfants chrétiens pour s’abreuver de leur sang. La foule en furie se répandait dans les ghettos, lapidait, pillait, brûlait, et les Juifs se réfugiaient dans les églises, les palais épiscopaux, les monastères, souvent en vain : les portes étaient fermées ; les bâtiments, quels qu’ils fussent, incendiés.
Ainsi recommençait ce qui s’était déjà produit lors de la première croisade, quand des foules guidées par Pierre l’Ermite avaient massacré les Juifs des villes d’Allemagne.
Le Malin voulait s’emparer de la croisade et la dévoyer. Bernard de Clairvaux prêchait d’autant plus fort pour faire entendre la parole de l’Église, celle de Dieu :
« Ce peuple juif, disait Bernard, a jadis reçu le dépôt de la Loi et des promesses. Il a eu des patriarches pour Pères, et le Christ, le Messie, béni dans les siècles des siècles, en descend selon la chair… Toucher aux Juifs, c’est toucher à la prunelle de l’oeil de Jésus, car ils ont ses os et sa chair… Les Juifs ne sont-ils pas pour nous le témoignage et la mémoire vivante de la Passion de Notre Seigneur ? »
Il me faudrait répéter ces paroles aujourd’hui, en 1322, cent soixante-quinze années plus tard, alors qu’à nouveau on a jeté dans le bûcher des Juifs accusés de vouloir, avec l’aide des lépreux, exterminer les chrétiens.
Comme si le Malin n’avait pas trouvé meilleur moyen de recommencer sans fin le martyre du Christ-Roi qu’en persécutant les Juifs, « les os et la chair » du Messie.
Ni Martin ni Eudes de Thorenc n’ont participé à cette croisade aveugle et pervertie.
Ils étaient à Paris, au pied de la colline Sainte-Geneviève au sommet de laquelle reposent les reliques de la sainte ainsi
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