Le Roman des Rois
Damas, qui est un échec. Alors il se voue aux oeuvres pieuses, visitant tous les sanctuaires de Jérusalem, manifestant une piété profonde, devenu plus pèlerin que monarque.
L’abbé de Saint-Denis, Suger, régent du royaume, le harcèle de lettres qui exigent son retour.
Le frère de Louis VII, Robert, comte de Dreux, est rentré en France et se présente en prétendant au trône.
« Les perturbateurs du royaume sont revenus, écrit Suger. Et vous, qui devriez être ici pour le défendre, vous restez comme prisonnier en exil ; vous avez livré la brebis au loup, et l’État à ses ravisseurs ! »
Suger suggère aussi de ne pas répudier Aliénor.
« Quant à la reine, votre femme, écrit-il, nous vous conseillons, si vous le voulez bien, de dissimuler votre rancune jusqu’à ce que, revenu chez vous, grâce à Dieu, vous puissiez régler cette affaire avec toutes les autres. »
À la fin de l’année 1149, le roi et Aliénor reprennent le chemin du royaume de France, passant par la Sicile et Rome où Louis VII est reçu par le pape Eugène III.
Chacun note alors le changement d’attitude de Louis VII. L’homme jeune et impétueux a disparu, comme si les humiliations subies pendant la croisade avaient fait de lui un homme de piété, de modestie et d’incertitudes.
Car comment ne pas s’interroger ? Bernard de Clairvaux, sanctifié en 1174, avait prêché cette croisade. On avait cru qu’elle était voulue par Dieu, qui, par la multiplication des miracles, invitait les fidèles à se croiser.
Mais, au terme de deux années, il n’y avait qu’échecs.
Saint Bernard lui-même le reconnaissait, s’en étonnait, confortant le roi dans son désarroi :
« Il semble que le Seigneur, provoqué par nos péchés, écrit Bernard, ait oublié Sa miséricorde et soit venu juger la terre avant le temps marqué. Il n’a pas épargné Son peuple ; Il n’a même pas épargné Son nom, et les gentils s’écrient : où est le Dieu des chrétiens ? Les enfants de l’Église ont péri dans le désert, frappés par le glaive ou consumés par la faim. L’esprit de division s’est répandu parmi les princes, et le Seigneur les a égarés dans des chemins impraticables. Nous annoncions la paix, et il n’y a pas de paix. Nous promettions le succès, et voici la désolation. Ah, certes, les jugements de Dieu sont équitables, mais celui-ci est un grand abîme, et je puis déclarer bienheureux quiconque n’en sera pas scandalisé… ! »
5.
Au fond du grand abîme qu’est le jugement de Dieu, il y a le roi de France.
Il n’est plus Louis VII le Jeune, ce chevalier plein de vigueur sacré à Reims en 1137 à l’âge de seize ans.
Ceux qui l’ont côtoyé et dont j’ai lu les écrits ont dit qu’il avait le regard voilé d’un vaincu ou d’un homme vieilli, alors qu’il n’avait que trente ans.
Mon aïeul, Martin de Thorenc, qui le sert avec fidélité et tristesse, écrit : « Mon Suzerain est défait et humilié. »
Il n’a point de fils et son conseiller, l’abbé de Saint-Denis, Suger, celui qui a été régent du royaume pendant les deux années de croisade, celui que Louis VII et le peuple nomment le Père de la Patrie , s’en va le 13 janvier 1151 pour son ultime voyage.
Suger avait consacré ses derniers mois de vie à tenter de rassembler les souverains, chevaliers, croyants pour une nouvelle croisade afin de guérir la douloureuse blessure de l’échec de Louis VII et de saint Bernard, mais c’est encore la mort qui gagne.
La disparition de Suger frappe Louis VII comme un nouveau châtiment. Le roi marche courbé, voûté, hébété.
« À peine Suger fut-il enlevé du milieu des vivants que la France en pâtit grièvement », écrit Martin de Thorenc.
Pourquoi les malheurs se succèdent-ils ainsi pour accabler le roi et son royaume, comme si Dieu, tout à coup, détournait la tête et laissait le royaume de France se précipiter dans le « grand abîme » ?
Dieu a-t-Il voulu punir Louis VII qui réunissait les évêques et archevêques, les princes et barons du royaume afin qu’ils prononcent la dissolution de son mariage avec Aliénor ?
Saint Bernard se tait. Le pape Eugène III consent. Chacun sait pourtant que la consanguinité n’est là qu’un prétexte. Et sans doute Dieu n’accepte-t-Il pas qu’on fasse mentir l’Église afin de dissimuler la volonté de rompre le lien sacré du mariage.
Martin de Thorenc dit en peu de mots
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