Le Roman des Rois
les menaces qui pesaient sur ceux qui s’en prenaient aux meilleurs enfants du Christ. « Le pape, disait-il, a pouvoir – et il le fera – d’excommunier ceux qui entravent la liberté de son évêque. »
Ce voyage jusqu’à Senlis me parut long.
En octobre 1301, j’étais près de l’évêque quand il comparut devant le roi et un grand nombre de prélats, comtes, barons et chevaliers.
Bernard Saisset nia les paroles et les projets que Pierre Flote rappelait.
Il déclara ne relever que de la justice pontificale.
Il y eut des murmures, bientôt des menaces, et certains seigneurs s’approchèrent de l’évêque en lui lançant :
« Je ne sais à quoi tient que nous ne te massacrions tout à l’heure ! »
Je mesurais l’embarras du roi. L’évêque refusait d’avouer. Les prélats étaient réticents à l’idée de le retenir prisonnier.
Le comte d’Artois s’écria :
« Si les prélats ne veulent pas me charger de la garde de l’évêque, nous trouverons bien des gens qui le garderont comme il faut ! »
Si Bernard Saisset craignait les gens du roi, le réquisitoire dressé contre lui était accablant.
Outre ce qu’il avait déjà énoncé, Pierre Flote l’accusait d’être un blasphémateur, un corrompu, un fornicateur qui avait affirmé que, pour les prêtres, la fornication n’était pas un péché. Il reprochait même au pape d’avoir canonisé Louis IX !
Boniface VIII n’abandonna pas pour autant son évêque. Il réclama au roi de délivrer Bernard Saisset afin de lui permettre de gagner Rome où il serait jugé.
Il écrivit au roi des lettres pleines de menaces :
« Apprenez que vous êtes soumis pour le spirituel et le temporel… Ceux qui croient autrement seront réputés hérétiques ! »
J’ai vu le roi jeter au feu l’une de ces bulles – Ausculta fili –, et ce, devant tous les nobles qui se trouvaient ce jour-là à Paris. Puis il fit crier cette exécution à son de trompe par toute la ville. Et il répondit à Boniface VIII :
« Que Ta Très Grande Fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel… Ceux qui croiront autrement sont des fous et des insensés. »
Ce furent des mois de tempête que je vécus partagé entre ma fidélité au roi de France et mon respect pour l’Église de Dieu.
Mais Boniface VIII était un ennemi de notre royaume. Il convoqua tous les évêques de France pour un concile à Rome le 1 er novembre 1302. Et ce ne pouvait être qu’un tribunal d’accusation.
J’approuvai le roi de réunir à Notre-Dame, le 10 avril 1302, les trois ordres du royaume, nobles, clercs et gens du commun. C’était le royaume de France en son entier qui était appelé, comme le dit Pierre Flote, « à défendre les libertés du royaume et celles de l’Église ».
Aussitôt, la noblesse et les députés du commun répondirent qu’ils étaient prêts à verser leur sang pour l’indépendance de la Couronne.
J’ai approuvé que la noblesse adressât aux évêques de France une lettre dénonçant « les déraisonnables entreprises, les outrageuses nouvelletées, la perverse volonté de cet homme, le pape ».
Mais les prélats hésitaient, sollicitant du pape la « révocation de ses injonctions ».
Qui pouvait croire que Boniface VIII s’inclinerait ?
Il traita Pierre Flote d’hérétique. Il menaça, et la colère saisit tous ceux – j’en étais – qui lurent les lettres de Rome.
« Nous savons les secrets du royaume de France, y écrivait Boniface VIII. Nous savons ce que les Allemands, et ceux du Languedoc et ceux de Bourgogne, pensent des Français… Nos prédécesseurs ont déposé trois rois de France… Nous aurons le chagrin de déposer celui-ci, s’il ne vient pas à résipiscence ! »
J’étais indigné.
Boniface VIII menaçait aussi tous ceux des évêques qui ne se rendraient pas au concile de Rome de les déposer.
Et il avait dit à un messager des prélats français : « Que le roi ne nous pousse pas à bout, nous ne le souffririons pas ! … Nous déposerions Philippe le Bel comme un valet ! »
J’eus l’impression d’être souffleté quand le pape avait ajouté :
« Le royaume de France est désolé entre tous ceux de la Terre. Il est pourri de la tête aux pieds ! »
76.
Je me suis souvenu des propos de Boniface VIII au soir du 11 juillet 1302, quand, dans les fossés entourant la ville de Courtrai, j’ai vu les corps de centaines et
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