Le Roman des Rois
n’était-ce là qu’habile manoeuvre ?
Mais les mots sont les mots, et ils demeurent.
Philippe déclarait d’un ton humble :
« Le roi désire de tout son coeur la continuation de l’entente entre l’Église romaine et sa maison. Si le pape n’est pas content des réponses du roi, celui-ci est tout prêt à s’en remettre à la décision du duc de Bourgogne et du comte de Bretagne, qui, dévots à l’Église romaine et à sa couronne, tiendront la balance égale. N’est-ce pas le pape en personne qui, naguère, a suggéré cet arbitrage ? »
J’ai espéré que le pape accepterait cette preuve d’humilité. Mais il fit claquer le fouet comme s’il était maître du roi de France.
Il évoqua des « châtiments temporels et spirituels », la nécessaire « soumission totale » du roi.
Il menaça et écrivit à son légat :
« Que le roi révoque incontinent et qu’il répare ce qu’il a fait, ou annoncez-lui et publiez qu’il est privé des sacrements. »
Comment le roi de France, élu de Dieu, aurait-il pu accepter de plier devant de telles menaces ?
J’ai été témoin et acteur de la riposte du souverain.
J’ai vu Guillaume de Nogaret, « chevalier, vénérable professeur des lois », rassembler autour de lui quelques fidèles du roi, et, parmi eux, Musciatto dei Francesi, qu’on appelait « Mouche » et qui était le plus considérable des banquiers florentins vivant à la cour de France.
J’ai su qu’il s’agissait d’aller chercher Boniface VIII en Italie afin de le traduire devant un concile qui se tiendrait à Lyon. Là, on le déposerait comme indigne.
C’était en mars 1303.
Le 12 de ce mois, une assemblée se tint au Louvre et Guillaume de Nogaret y lut sa requête contre le pape.
Il parla d’une voix vibrante et résolue, et la violence de ses propos me glaça :
« Nous voyons siéger dans la chaire de saint Pierre un maître de mensonges, ce malfaisant qui se fait nommer Boniface… Il n’est pas pape, il n’est pas entré par la porte, c’est un voleur… un simoniaque horrible… qui a commis des crimes manifestes, énormes, au nombre infini, et il est incorrigible… Il a soif d’or, il en a faim, il en extorque à tout le monde, il hait la paix, il n’aime que lui… Les armes, les lois, les éléments eux-mêmes doivent s’insurger contre lui. Il appartient à un concile général de le juger et de le condamner… »
C’était temps de guerre et de mort entre chrétiens.
Je n’accompagnai pas Guillaume de Nogaret lorsqu’il gagna peu après l’Italie.
Le roi m’avait retenu auprès de lui.
Les 13 et 14 juin 1303, je pus ainsi assister au Louvre à une grande assemblée, où un chevalier, Guillaume de Plaisians, de l’entourage de Nogaret, se montra encore plus violent envers Boniface VIII.
Le pape, dit-il, ne croyait pas à l’immortalité de l’âme, ni à la vie future. Épicurien, il ne rougissait pas de dire : « J’aimerais mieux être chien que français… Forniquer ce n’est pas pécher… Pour abaisser le roi et les Français, je ruinerais, s’il le fallait, le monde entier, l’Église, moi-même, pourvu que les Français et l’orgueil des Français soient anéantis… »
Selon Plaisians, Boniface était sodomite. Il avait fait tuer plusieurs clercs en sa présence. Sa haine contre le roi de France provenait de sa haine contre la foi dont ledit roi incarnait la splendeur et l’exemplarité…
Le roi approuva ces accusations.
On assistait bien à l’affrontement entre le royaume de France et le souverain pontife, entre l’honneur et l’indépendance d’un royaume et la prétention romaine à la domination du monde.
Chevalier français, j’étais au service des lis.
Je fus désigné par le roi, avec d’autres chevaliers, pour aller dans les provinces du royaume inciter toutes les communautés ecclésiastiques et laïques à approuver les accusations portées contre Boniface VIII, et la convocation d’un concile pour le juger.
Je sais que ceux qui refusaient furent emprisonnés, et, quand ils étaient étrangers, expulsés hors du royaume.
C’était bien temps de guerre.
À Paris, une foule immense se rassembla, le 24 juin 1303, dans le jardin du palais royal de la Cité.
Un moine prêcha :
« Je parle pour expliquer les sentiments du roi, dit-il. Or, sachez que ce qu’il fait, il le fait pour le salut de vos âmes. Puisque le pape a dit qu’il veut détruire le roi et le
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