Le Roman des Rois
toutes les villes de Flandre.
On traquait le Français, on l’égorgeait. C’était la guerre entre les métiers et le roi de France.
Comment n’aurions-nous pas cru qu’il suffirait de quelques coups de glaive, d’une charge de chevaliers pour disperser comme volée de moineaux ces tisserands, ces gueux de Flandre ?
Certains chevaliers, qui avaient guerroyé en Flandre, nous conseillèrent de faire avancer d’abord les dix mille arbalétriers italiens au service du roi de France.
Après seulement, quand ils auraient lancé leurs traits, les chevaliers chargeraient.
Jacques de Châtillon et le connétable Raoul de Nesle se récrièrent : les chevaliers de France chasseraient cette piétaille des métiers en une seule chevauchée. Quand ces tisserands verraient déferler vers eux les chevaliers, lances baissées, heaume enfoncé, armure nouée, ils déguerpiraient.
J’ai dit qu’il n’en fut pas ainsi.
Dieu, par miracle, écarta les flèches qui se dirigeaient vers moi, ou les brisa. Il retint mon cheval au bord des fossés creusés par les tisserands devant leur ville de Courtrai.
Mais je vis s’empaler sur les longs coutelas mes compagnons.
Ce 11 juillet 1302, devant Courtrai, les Flamands nous égorgèrent et le sang de la chevalerie française coula à gros flots, comme jamais, même en terre infidèle, cela ne s’était produit.
J’ai dit qu’aucun usage ne fut respecté par les tisserands et leurs mercenaires : pas un chevalier ne fut gardé vivant pour obtenir rançon.
Il n’y eut point de prisonniers, seulement des morts.
J’ai dit lesquels.
Les Flamands prirent comme trophées les éperons dorés des chevaliers morts et les déposèrent dans leurs cathédrales, car pas une ville n’échappa à leurs mains.
Ils prirent Douai et Gand, Ypres et Lille, toutes les cités de Flandre.
Le lion noir de Flandre ne fut jamais brandi aussi haut, et les cris de joie qui le saluèrent ressemblaient à des rugissements de triomphe.
Ce fut grande humiliation.
Je vis Philippe le Bel, les lèvres serrées, les yeux fixes.
Nous étions serrés autour de lui qui était aussi figé qu’une statue.
Notre défaite – sa défaite – était la victoire de Boniface VIII.
Le pape proclama que les Matines de Bruges étaient la vengeance du Seigneur contre un roi qui s’était dressé contre le vicaire du Christ.
Le pape allait pouvoir tenir le synode des évêques français à Rome, fixé au 1 er novembre 1302.
Philippe fit écrire aux cardinaux français afin qu’ils expriment au pape la volonté de réconciliation du roi de France.
Pour toute réponse, il reçut ces mots :
« Philippe a offensé trop gravement le souverain pontife. Qu’il se repente d’abord… »
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J’ai craint que le roi de France, menacé d’excommunication, traité avec arrogance, suffisance et mépris par le souverain pontife, ne capitulât devant Boniface VIII.
Car c’est bien ce qu’exigerait le pape.
Il avait réuni en novembre 1302 son synode en présence de nombreux prélats venus de France.
Il avait publié la bulle Unam Sanctam , et Guillaume de Nogaret, qui avait succédé auprès du roi à Pierre Flote, tué à Courtrai, assurait que jamais un pape, depuis le temps des Apôtres, n’avait prétendu, comme Boniface VIII, que les deux glaives, le spirituel et le temporel, appartenaient à l’Église :
« Nous disons et déclarons qu’être soumis au souverain pontife romain est, pour toute créature humaine, une condition de salut.
« Le glaive spirituel est dans la main du pape, le temporel est dans la main des rois, mais les rois ne s’en peuvent servir que pour l’Église, selon la volonté du pape. »
Que restait-il au roi de France ?
L’obéissance et la soumission.
Je l’observais.
Son visage ne marquait aucune émotion, mais peut-être dissimulait-il son effroi ?
Je fus rassuré quand il convoqua les prélats et les barons « afin d’aviser à la sauvegarde de l’honneur et de l’indépendance du royaume ».
Philippe IV le Bel, l’Énigmatique, ne fléchirait pas le genou devant le pape !
J’en fus fier et heureux, même si je m’interrogeais toujours sur ces affrontements entre chrétiens, alors que nous sommes tous issus de Notre Père Jésus-Christ.
Je fus donc satisfait d’apprendre que Philippe le Bel, mon suzerain, avait écrit au pape une missive pleine de prudence et de sagesse.
Aujourd’hui, je m’interroge : peut-être
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