Le Roman des Rois
Jeanne, soeur de Richard Coeur de Lion, la dernière fille d’Aliénor d’Aquitaine, son visage si souvent rembruni s’épanouit.
Jeanne était veuve, et Philippe avait perdu Isabelle de Hainaut. Il rêva d’épousailles, mais Richard Coeur de Lion ne voulait pas d’une union entre la France et l’Angleterre qui eût renforcé le roi de France.
Il refusa Jeanne à Philippe, tout comme il refusait d’épouser Alix de France.
Quelques semaines plus tard, la reine Aliénor d’Aquitaine, qui était vieille de plus de sept fois dix ans, débarqua à Messine en compagnie de Bérengère, fille du roi de Navarre, et c’est celle-ci que Richard Coeur de Lion décida d’épouser.
C’était l’hiver, et l’on devait attendre le printemps pour reprendre la mer.
À mots couverts, Philippe Auguste révélait ce qu’il pensait de Richard Coeur de Lion dont les colères, l’orgueil, l’arrogance, les moeurs l’exaspéraient :
« J’avais rapporté au roi, poursuit Eudes de Thorenc, comment Richard, dépouillé de ses vêtements, portant dans sa main trois fouets de verges légères liées ensemble, s’était prosterné devant tous les prélats et les archevêques réunis à Messine pour se faire pardonner l’“abomination de sa vie”, la “faute des gens de Sodome” à laquelle il s’était adonné. Il renonçait à son péché, implorait une digne pénitence avec une telle humilité et contrition de coeur que l’on pouvait croire sans aucun doute que c’était l’oeuvre de Celui qui regarde la terre et la fait trembler.
On était à la veille de Noël 1190 et Philippe m’avait écouté, impassible, faisant mine de ne rien savoir, lorsqu’il célébra avec Richard Coeur de Lion les fêtes de la Nativité. Mais elles furent interrompues parce que les marins pisans, génois et anglais se querellaient, couteaux en main. Et il fallut que les deux rois et leurs barons se rendissent sur le port pour tenter d’apaiser les équipages. Ce ne furent pas leurs ordres qui séparèrent les combattants, mais la nuit. Et le lendemain les rixes reprirent.
Et Philippe Auguste suspecta Richard Coeur de Lion de vouloir le tuer, et le roi d’Angleterre soupçonna le roi de France des mêmes intentions, chacun recherchant pour soi l’alliance du roi Tancrède de Sicile… »
« Il faut quitter la Sicile », murmura, un jour de mars 1191, Philippe Auguste.
Les évêques, les prédicateurs, le légat du pape répétaient chaque jour que les chrétiens ne devaient plus tarder à rejoindre la Terre sainte pour y combattre Saladin et libérer le Saint-Sépulcre.
Venu de l’abbaye de Corazzo, l’abbé Joachim de Flore, qui appartenait à l’ordre de Cîteaux, dénonça en Saladin l’un des principaux persécuteurs de l’Église, à l’égal d’Hérode, de Néron et de Mahomet. Il annonça sa défaite :
« Saladin va prochainement perdre le royaume de Jérusalem et sera tué, et la rapacité des Sarrasins périra, et on fera d’eux un énorme massacre comme il n’en fut jamais dès le début du monde, et leur habitation sera rendue déserte, et leurs cités seront désolées, et les chrétiens reviendront vers leurs campagnes perdues, et ils y feront leurs nids. »
Au début du mois de mars 1191, Philippe conclut un nouveau traité avec Richard Coeur de Lion : il obtenait dix mille marcs et le château de Gisors. Richard restituait par là la dot d’Alix de France.
« Le 30 mars, par bon vent, moi, Eudes de Thorenc, vassal, chevalier de Philippe Auguste, je quittais Messine avec mon suzerain pour la Terre sainte. »
15.
Je débarquai à Saint-Jean-d’Acre, raconte Eudes de Thorenc, dans les pas de mon roi, Philippe Auguste, le 20 avril 1191.
Le roi s’agenouilla, embrassa la Terre sainte et nous tous, ses chevaliers, ses vassaux, ses sergents, l’imitâmes. Nous apprîmes par des pêcheurs chrétiens que Richard Coeur de Lion avait conquis l’île de Chypre, qu’il y avait célébré, à Limassol, le couronnement de son épouse, Bérengère, fille du roi de Navarre. Et il avait chargé ses navires de tout le butin qu’il avait pu trouver dans l’île.
Chypre n’était point terre d’Infidèles, mais Philippe Auguste dit que Richard Coeur de Lion était un rapace et qu’il fallait se garder de lui, si on ne voulait pas devenir sa proie.
Ainsi à peine avions-nous mis le pied sur la Terre sainte que la discorde entre chrétiens s’aggravait. Je découvris, conclut Eudes de
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