Le Roman des Rois
franchîmes les Alpes par la vallée de la Maurienne.
Et nous célébrâmes Noël 1191 à Fontainebleau.
« Je suis sain et sauf », répéta plusieurs fois Philippe Auguste.
Et il fit le signe de croix pour remercier Dieu d’avoir veillé sur lui.
16.
« Le roi de France priait Dieu de le protéger, mais il vivait comme s’il ne faisait pas confiance à Notre Seigneur », écrit Eudes de Thorenc lorsqu’il évoque les années qui ont suivi le retour de Philippe Auguste de Terre sainte.
Ce fut, dit-il, le temps de l’intrigue et de la peur.
Des chevaliers venus de Palestine avaient rapporté au roi de France que Richard Coeur de Lion le maudissait, le haïssait, l’accusait de couardise et de traîtrise, et désirait sa mort.
À en croire ces chevaliers, Richard avait noué alliance avec le chef d’une secte d’Infidèles mangeurs de haschich qu’on appelait les « Assassins ». Il avait payé ce « Vieux de la Montagne » afin que les hommes de cette tribu « assassinent » les rivaux du roi d’Angleterre.
Dans une ruelle de Tyr, on avait ainsi poignardé le marquis Conrad de Montferrat dont Richard craignait qu’il devînt roi de Jérusalem.
Les chevaliers assuraient que des Infidèles étaient en route pour Paris afin de tuer le roi de France par la dague ou le poison.
J’ai alors entendu Philippe Auguste exiger que des sergents armés de massues se tiennent toujours auprès de lui et ne laissent personne l’approcher.
Moi, Eudes de Thorenc, j’ai été contraint de me dépouiller de mes armes pour pouvoir converser avec le roi qui se tenait en permanence le dos appuyé à une colonne ou à un mur comme s’il avait craint qu’on ne lui plante une dague entre les épaules.
Lorsqu’il me conviait à m’asseoir près de lui et à partager ses repas, je voyais qu’il ne mangeait aucune nourriture sans l’avoir d’abord essayée sur ses chiens.
Il se penchait vers moi pour murmurer : « Richard veut ma mort. » Et je lisais dans son regard qu’il me suspectait d’avoir prêté hommage au roi d’Angleterre, oubliant que j’étais depuis son couronnement le plus fidèle de ses vassaux.
Sa peur était à la mesure de ses ambitions. Il voulait déposséder Richard de ses fiefs, le chasser hors de France, s’emparer de la Normandie et du Vexin, devenir le souverain du Poitou et de la Saintonge, conserver le château de Gisors. Et il était prêt, pour élargir ainsi son domaine, à vouer le roi d’Angleterre aux enfers, priant pour obtenir l’aide du Seigneur dans cette entreprise.
J’ose l’écrire – poursuit Eudes de Thorenc –, les intrigues du roi, mon suzerain, tourmentaient mon âme.
Ayant appris que Richard Coeur de Lion, après avoir quitté la Terre sainte, avait été fait prisonnier par le duc d’Autriche, puis remis à l’empereur germanique Henri VI, Philippe Auguste avait aussitôt recherché fébrilement l’alliance du frère de Richard, Jean sans Terre, puis envoyé des messagers à l’empereur. Il proposait de remettre cinquante mille marcs, et Jean sans Terre trente mille, si Henri VI retenait Richard prisonnier jusqu’au mois de septembre 1194. Puis Philippe Auguste verserait mille marcs par mois d’emprisonnement une fois ce terme échu. Et si on livrait le prisonnier, la rançon serait alors de cent cinquante mille marcs !
Nul doute que la vie de Richard Coeur de Lion n’ait été alors en grand péril.
Mais Henri VI préféra obtenir la même somme de Richard, avec, en sus, le serment d’allégeance du roi d’Angleterre à l’empereur germanique.
Richard Coeur de Lion devenant par là le vassal d’Henri VI, la peur resserra son noeud plus étroitement encore autour du cou de Philippe Auguste.
Je sais qu’il a alors écrit à Jean sans Terre :
« Prenez garde à vous, maintenant : le Diable est lâché ! »
J’ai gardé par-devers moi les parchemins des chroniqueurs anglais qui racontaient comment, pour réunir la rançon du roi, les « hauts hommes du pays s’imposèrent de grandes charges et s’engagèrent personnellement. On prit le cinquième des biens meubles, on prit aussi les colliers d’or et d’argent. Ceux-là donnèrent une grande preuve de leur dévouement, qui envoyèrent leurs enfants comme otages pour tirer le roi de prison. Il leur en sut grand gré. Il envoya à son peuple, en Normandie et en Angleterre, des lettres contenant le témoignage de sa reconnaissance ».
Mais Philippe Auguste
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