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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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la peinture.
    On frappa. Assis sur une chaise, en caleçon, le moulin à café coincé entre les genoux, Victor eut la déconvenue de voir surgir Maurice Laumier. Depuis plusieurs semaines ce rapin faiseur et ambitieux fréquentait de nouveau Tasha qu’il encourageait à brosser des décors de théâtre.
    — Salut et prospérité, brailla-t-il en balançant son huit-reflets sur le lit, ne vous gênez pas, j’ai déjeuné ! Ma mignonne, j’ai croisé le jeune Paul Fort, il a des projets grandioses pour son théâtre d’Art. À nous, les trompe-l’œil synthétiques !
    — C’est une idée fixe, grommela Victor.
    — Mon cher, vous êtes irrémédiablement fermé à notre évangile qui tient en huit mots : « La parole crée le décor comme le reste. » Le Corbeau , d’Edgar Poe, fut mis en scène devant un simple fond de papier d’ emballage.
    Peu désireux d’en entendre davantage, Victor avait enfilé ses vêtements et s’apprêtait à sortir. Il aurait voulu embrasser Tasha mais ne pouvait s’y résoudre sous le regard sarcastique de Laumier.
    — Et le café ? s’écria-t-elle.
    — Je suis en retard, un rendez-vous, ensuite rue des Saints-Pères. Je reviens cet après-midi.
    — Je ne suis pas sûre d’être là…
    — Tant pis, marmonna-t-il.
    Avant qu’il ait pu saisir la poignée, la porte s’ouvrit, révélant un petit homme à melon, monocle et cigare.
    — Lautrec ! Quelle coïncidence ! Je suis allé aux Indépendants, rugit Laumier, l’accrochage est superbe, j’aime furieusement votre Goulue entrant au Moulin-Rouge , une vraie gueule de sabbat !
    C’en était trop. Victor parcourut en quelques enjambées la distance qui le séparait de son appartement et alla se boucler dans sa chambre noire. Qu’importait si Tasha lui reprochait son sale caractère, il ne supportait décidément pas de la savoir entourée d’hommes tous aussi vulgaires les uns que les autres. Des créateurs, affirmait-elle. Et son talent à lui, qu’en faisait-elle ?
    « La peinture, la peinture, toujours la peinture ! Et la photo ? »
    Victor avait étudié de près le travail de l’Anglais John Thomson, en particulier son compte rendu photographique Illustration of China and Its People , et il espérait réaliser à Paris ce que Thomson avait déjà fait sur le peuple des rues de Londres, sans toutefois tomber dans le pathos et les stéréotypes de la misère. Il se situerait plutôt à mi-chemin entre Charles Nègre et Charles Marville.
    Il contempla ses clichés d’enfants à la tâche, pris
    faubourg Saint-Antoine et rue des Immeubles-Industriels : une brocheuse d’or sur peluche, un garçon occupé à scier le bois destiné aux travaux de placage, l’élève d’un tailleur de faux diamants, l’apprenti d’une fabrique de papiers d’ameublement. Ces portraits, exécutés dans des appartements reconvertis en ateliers, avaient exigé infiniment de soin, il y avait mis autant de sensibilité que de technique et s’était appliqué à ce que les sujets restent naturels devant l’objectif.
    Il endossa sa redingote, enfonça son chapeau mou, rafla ses gants et sa canne. Puisque c’était ainsi, il irait se sustenter boulevard des Capucines, au Café Napolitain , et zut pour Joseph !
     
    Mme Ballu, la concierge du 18 rue des Saints-Pères, s’était levée aux aurores en grognant et n’avait depuis lors cessé de briquer la cour et l’escalier de l’immeuble. Aussi estimait-elle avoir mérité de la patrie, et projetait-elle d’aller déguster une platée de choux aux lardons dans sa loge. Après quoi elle s’accorderait une goulée du porto millésimé dont Onésime Ballu, feu son époux, avait lesté le buffet. Ensuite elle profiterait de l’embellie, tirerait une chaise sur le trottoir et jouirait du spectacle de la rue.
    Ce programme fut perturbé par l’arrivée d’une femme coiffée d’une toque à voilette et vêtue d’un paletot Orloff échancré sur une robe entravée. Le tout était orné de bandes d’astrakan et se déplaçait avec hésitation.
    — Vous cherchez qui ? aboya la concierge en lorgnant le carton à chapeaux que la femme maintenait contre sa poitrine.
    — Je suis attendue chez les locataires du quatrième, un essayage.
    — Les Primolin ? Essuyez vos pieds, le paillasson, c’est pas pour les chiens.
    La femme avait à peine franchi le hall qu’elle s’arrêta.
    — L’appartement du premier est-il à louer, par hasard ? Les volets

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