Le secret des enfants rouges
Gueule à côté de la Sorbonne, tenez, celui-ci est rien bath : Ma Gueule à la sortie des vêpres de Saint-Germain-des-Prés.
Un assortiment de caricatures maladroites s’étalait en éventail sous les yeux de Victor qui sélectionna, moyennant une pièce, l’esquisse au fusain d’un humain brachycéphale lorgnant une église convulsionnée.
— Très original, je cherche à me procurer un de ces objets que sculpte votre ami Osso Buco à partir d’os.
— Fait trop soif pour causer.
— Prenez donc mon verre.
Tandis que Ma Gueule sirotait le sancerre, Victor eut le temps d’examiner les artisans, camelots, dames mûres et poètes malchanceux qui constituaient le public du tribun. Celui-ci termina enfin sa harangue, salua, et fut convié par l’assistance à déguster une des liqueurs contenues dans des bocaux et des bouteilles intercalés entre les tonneaux.
— Bravo Caubel, très réussi ton laïus, L’effet de la syphilis sur les crapauds, ça valait la peine de s’en soucier ! brailla Ma Gueule qui expliqua à Victor :
— Ce Caubel de la Ville Ingan ,c’est un mince d’érudit, astronome, préparateur au Muséum, taste-vin à la Halle de Bercy, cuistot, tout ça à la fois ! Pas étonnant qu’il règne sur les quarante !
— Les quarante ?
— Les quarante tonneaux de notre Académie françoise ! rugit Ma Gueule, à demi étranglé de rire.
Lorsque Victor lui eut violemment frappé les omoplates afin qu’il recrache une bonne partie du vin, il poursuivit :
— Vous d’mandez après Osso Buco ? Cet abruti est un veinard, il doit porter d’la corde de pendu en guise de cravate, les rapins se l’arrachent ! J’ sais pas c’qu’ils trouvent de plus à sa trombine qu’ à la mienne. Un de ces quatre, le musée du Luxembourg débordera de Saint-Joseph, de Noé et de tartempions à tronche de rital ! Et v’là-t-y pas qu’il a été embauché pour figurer Vercingétorix !
— Par qui ?
— Une huile de l’Institut, un Georges Machin Chouette, le deuxième nom c’est çui d’un oiseau.
— Moineau ? Alouette ? Pinson ? Mésange ? énuméra Victor.
— Non, j’l’ai sur l’bout d’la bou… Bouvreuil, justement !
— Georges Timon-Bouvreuil, un disciple de Fernand Cormon, je crois. Où est son atelier ?
— Dans les beaux quartiers, du côté de la Muette, y m’ semble.
Victor le remercia d’une nouvelle consommation.
L’émissaire se plaqua contre la façade Louis XIV et ne remonta en selle que quand l’associé eut hélé un fiacre. Décidément, ce libraire avait juré de lui user les jarrets. Où courait-il à présent ? Pas d’autre option que de se suspendre à ses basques.
Victor se fit déposer place de Passy. Longeant la rue du même nom, il s’enquit auprès des commerçants du peintre chez lequel il désirait se rendre, et finit par apprendre qu’il résidait avenue Raphaël.
La chaussée de la Muette lui offrit ses ombrages jalonnés d’allées où pédalaient des cyclistes. Dans ce coin de ville paisible et opulent, semé de belles demeures, il avait le loisir de prêter attention à ses hantises. Deux mystères se dressaient en travers de sa vie depuis plusieurs jours. Celui de cette coupe semeuse de mort et celui de la lettre fusionnèrent en une image d’une précision photographique imposée à son regard intérieur : au sommet d’un trépied, la tête de Tasha lui souriait, énigmatique. Il s’arrêta un instant, serra les paupières sur ce mirage, parvint à s’en affranchir.
Il chemina un moment en proie à un état second. Un sifflement le rappela à la réalité. Un train haletait sur la voie du chemin de fer de ceinture. Il le dépassa, occultant le souvenir de Léonard Diélette.
Enfin il atteignit la villa prétentieuse de Georges Timon-Bouvreuil, aussi exténué que s’il avait arpenté la capitale à pied. Par bonheur, il possédait la faculté de récupérer rapidement, et ce fut presque dispos qu’il pria le majordome de l’annoncer. Le cerbère lut sa carte de visite d’un air pincé, et Victor dut insister avant qu’il ne libère le passage. On l’installa dans un petit salon où on lui recommanda de ne bouger ni parler, d’ici un quart d’heure les modèles auraient le loisir de se dégourdir les membres, et le maître de le recevoir.
La pièce où Victor était confiné tenait davantage du magasin d’accessoires que du salon. On y respirait la guerre à travers les âges, depuis
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