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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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les massues et les épieux alignés contre une bombarde, jusqu’aux escopettes, hallebardes et arbalètes, sans négliger les armes d’estoc et de taille. Des cuirasses corsetant des mannequins et des uniformes accrochés à des patères se disputaient le maigre espace, qu’achevaient de manger des casques d’époques diverses posés sur des formes. Victor avisa une tapisserie agitée d’un faible souffle. Il la souleva, la porte qu’elle masquait était entrebâillée et révélait une partie de l’atelier.
    Il aperçut d’abord un chevalet soutenant un tableau de belles dimensions : à la lueur des feux d’un bivouac, quelques troupiers rêvaient aux armées triomphales de Napoléon défilant sous un ciel nébuleux. Derrière cette composition, tournés de profil, il distingua cinq hommes le long d’une estrade pourvue d’une barre d’appui à laquelle ils s’adossaient parfois. Si leurs majestueuses bacchantes et leurs braies avaient laissé planer un doute quant à leur identité, le coq empaillé que dressait à bout de bras le plus âgé d’entre eux l’aurait dissipé : c’étaient des Gaulois.
    — J’en ai ma claque, je vais lâcher ! menaça l’homme au coq.
    — Encore un effort. Cessez de broncher, sinon je vous mords ! riposta une voix glaciale venant de la droite.
    Victor agrandit l’ouverture et découvrit le peintre, un quadragénaire mince et compassé sanglé dans un veston à col d’officier. Ses brosses et sa palette à la main, il était campé en haut d’un escalier face à une toile monumentale, un capitaine à la barre de son vaisseau.
    — Cannibale, mâchonna Vercingétorix.
    Le maître descendit au galop afin de juger l’effet de ses dernières touches, ce qui permit à Victor de remarquer les confortables snow-boots dont il était chaussé. Puis il regrimpa quatre à quatre, corrigea un détail, et décréta d’un ton lugubre qu’il accordait une récréation de quinze minutes.
    — Ménagez les costumes ! cria-t-il aux modèles qui ôtaient leurs perruques blondes.
    Victor regagna le vestibule de l’hôtel et se mêla aux Gaulois tandis qu’ils se dirigeaient vers une courette. Il n’eut pas de mal à repérer l’Italien, que ses cheveux blancs désignaient comme le doyen de la tribu. Il lui effleura l’épaule.
    — Êtes-vous Osso Buco ?
    Mortifié, le vieil homme le toisa et rétorqua d’une voix rocailleuse :
    — Un peu de respect, vous parlez au défenseur de Gergovie !
    Les autres ricanèrent en allumant pipes ou cigarettes.
    — Dommage qu’on ne fasse pas poser les Romains et leurs ennemis ensemble, grand-père, j’aurais misé deux francs sur Jules César ! remarqua un jeune homme à tête de buse.
    — Inutile de risquer un centime, puisqu’on sait que notre chef bien-aimé sera enfoncé au siège d’Alésia, constata un garçon affecté.
    Osso Buco se contenta de cracher et suivit Victor à l’écart.
    — Vous avez acquis hier auprès d’une compatriote un objet subtilisé à un de mes amis. Il s’agit d’une coupe constituée d’un crâne. Je suis prêt à vous la racheter, votre prix sera le mien.
    — Pourquoi votre ami tient-il à une telle saloperie ?
    — Un souvenir de famille.
    — Des souvenirs de ce genre, merci, je jubile d’être orphelin ! C’est vrai que je l’ai eue entre les pognes, votre coupe, je croyais arriver à en tirer quelque chose, une tasse ou un cendrier. Quand j’ai pigé de quoi il retournait, je m’en suis débarrassé.
    Victor se frappa le front, découragé.
    — Vous auriez dû la rendre à la jeune fille au lieu de la jeter !
    — Qui vous dit que je l’ai jetée ? Je l’ai pas gardée, c’est certain, pour qu’on m’accuse d’anthropophagie ! Je ne suis qu’un modeste habitant du passage Piémontési, je me loue au marché des modèles, place Pigalle, où ce mangeur d’hommes de Timon-Bouvreuil m’a embauché, trois francs par jour alors que les Français en palpent cinq ! Basta ! D’habitude, on me peint en costume de pêcheur breton ou d’ermite. Les jours où je ne joue pas les potiches chez les rapins, je propose aux amateurs mes productions artisanales, dont la matière m’est fournie par mon pot-au-feu.
    — Quel rapport avec l’anthropophagie ?
    — J’y viens. J’ai sculpté de tout, tibias, rotules, vertèbres ou pariétaux. J’en extrais cuillers à moutarde ou polissoirs à ongles, de ces os que j’ai rongés et qui appartiennent

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