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Le soleil d'Austerlitz

Le soleil d'Austerlitz

Titel: Le soleil d'Austerlitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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de prudence à les détruire. Mais il faut taire les reproches. Moreau est susceptible, jaloux, et on l’acclame de tous côtés.
    « Je ne vous dis pas tout l’intérêt que j’ai pris à vos belles et savantes manoeuvres, lui écrit Napoléon. Vous vous êtes encore surpassé dans cette campagne. Ces malheureux Autrichiens sont bien obstinés : ils comptaient sur les glaces et les neiges ; ils ne vous connaissent pas encore assez. Je vous salue affectueusement. »
    J’imagine ce que la victoire peut faire naître dans l’esprit de Moreau. Un général glorieux et ambitieux représente toujours, quoi qu’il pense, un danger. Et il est trop d’hommes qui veulent ma chute ou ma mort, pour qu’ils ne pensent pas à Moreau.
    Comme j’y pense .
    — Si je mourais d’ici trois ou quatre ans de la fièvre dans mon lit, dit-il à Roederer, et, que pour achever mon roman, je fisse un testament, je dirais à la nation de se garder du gouvernement militaire. Je lui dirais de nommer un magistrat civil.
    Roederer s’étonne. On parlait de l’Autriche et de la victoire de Moreau à Hohenlinden.
    — Il ne faut point de général dans cette place de Premier consul, poursuit Napoléon. Il faut un homme civil. L’armée obéira plutôt au civil qu’au militaire.
    Que sont les généraux entre eux ? Des rivaux qui se jalousent, se guettent, croient tous que l’un vaut l’autre. Et qui imaginent qu’il suffit de vaincre sur le champ de bataille pour être capable de gouverner.
    — En Égypte, lorsqu’il y eut une révolte au Caire, toute l’armée voulait que je misse le feu aux mosquées, que j’exterminasse les prêtres, murmure Napoléon. Je n’écoutai rien de tout cela. Je fis punir les chefs de la révolte et tout s’apaisa. Et trois semaines après, l’armée était enchantée.
    Il soupire.
    — Si je meurs dans quatre ou cinq ans, la chose sera montée, elle ira. Si je meurs avant, je ne sais ce qui arriverait.
    Il pointe le bras vers Roederer, l’empêchant de répondre.
    — Un Premier consul militaire qui ne saurait gouverner, continue-t-il, laisserait tout aller au gré de ses lieutenants.
    Du pied, il repousse la carte d’Allemagne.
    — Moreau, dit-il, ne parle jamais que de gouverner militairement. Il ne comprend pas autre chose.

8.
    C’est le 24 décembre 1800. Napoléon est assis devant la cheminée du salon des Tuileries. Il porte l’uniforme bleu à parement rouge et blanc de colonel de la Garde. Il a glissé sa main droite dans le gilet blanc. Le bicorne est enfoncé jusqu’aux sourcils. Il a les yeux clos. Il entend ce brouhaha. Joséphine et Hortense approchent, accompagnées de plusieurs généraux. Il reconnaît les voix de Lannes, de Berthier, de Lauriston, et celle de son aide de camp, Rapp. Il ne bouge pas. Il doit se rendre avec eux à l’Opéra, où l’on donne un oratorio de Haydn, La Création . Mais il aimerait demeurer aux Tuileries, prolonger seul, avec lui-même pour unique interlocuteur, ces conversations qui se sont déroulées toute la journée dans son cabinet avec les uns et les autres. C’est à lui de trancher. À lui, donc, d’analyser, de comprendre, et pour cela il faut « méditer » la guerre ! L’Angleterre voudra-t-elle jamais la paix alors que la France s’étend jusque sur la rive gauche du Rhin, ayant ainsi absorbé la Belgique et la Hollande ? Ce n’est pas lui, mais la Convention, qui a commencé cette expansion, ces guerres dont il a hérité ! Il est le légataire de ces ambitions-là. Il a remplacé devant l’échiquier le Comité de salut public, mais la partie était engagée bien avant lui ! Que faire ? Renoncer à ces territoires, c’est comme accepter qu’un Bourbon s’installe au faubourg Saint-Antoine ! Les conserver, c’est la guerre !
     
    Joséphine chuchote quelques mots, insiste pour qu’il se rende à l’Opéra. Il travaille trop, dit-elle. La musique le distraira. Il se lève, descend l’escalier. L’escorte de grenadiers à cheval l’attend, les chevaux piaffent. Napoléon s’avance vers sa voiture, lève les yeux, aperçoit son cocher, César, qui paraît osciller sur son siège. Peut-être ivre.
    Napoléon monte dans sa voiture. Les grenadiers prennent le trot, et la voiture suit à vive allure, empruntant peu après la rue Saint-Nicaise. Tout à coup elle s’élance, les chevaux au galop. Napoléon somnole. Un grenadier à cheval a donné ordre à un fiacre de s’écarter afin que la voiture du Premier consul

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