Le templier déchu
surpris. Obéir n’a jamais été ton point fort, Lucas.
— Sois assuré que j’obéirai avec empressement lorsque je recevrai l’ordre de te pendre haut et court !
Ignorant cette remarque, Alexandre reporta son attention sur le comte.
— Je dois avouer que moi aussi j’ai mes défauts, et que le manque de patience en est un. Aussi, pour reprendre là où Lucas s’était arrêté... qu’avez-vous donc en tête me concernant, messire ?
— Votre pendaison n’est pas encore à l’ordre du jour, Ashby, répondit le comte. Je suis prêt à vous offrir une alternative.
— Quoi ? s’écrièrent d’une seule voix Alexandre et Lucas.
Le comte enchaîna sans s’émouvoir :
— Ce que je vais vous proposer vous paraîtra sans doute peu orthodoxe, mais je ne puis faire moins maintenant que je vous ai vu.
Comme les deux autres le considéraient sans comprendre, il s’expliqua :
— Stephen m’a fait prévenir après votre arrestation parce que vous présentez une ressemblance prodigieuse avec un homme que nous avons capturé durant la guerre contre les Écossais, et qui s’avère être l’un de mes prisonniers les plus précieux. Si je ne vous avais vu de mes propres yeux, je n’y aurais pas cru. Mais cette ressemblance est irréfutable, et elle va vous sauver la vie, messire Alexandre. Si toutefois vous êtes assez hardi pour accepter mon offre.
Alexandre fronça les sourcils. Sans être un génie, il était doté d’une intelligence normale, or il avait tellement de mal à suivre le comte que ce dernier aurait pu tout aussi bien parler dans une langue étrangère.
Celui-ci dut deviner qu’il était perdu, car il ajouta :
— Ce que je veux dire, Ashby, c’est que vous êtes le portrait craché de Robert Kincaid, comte de Marston, un Anglais renégat, seigneur de Dunleavy Castle, en terre écossaise.
Lucas tressaillit à la mention de ce nom, sans toutefois faire de commentaire.
Comme le silence se prolongeait, Alexandre finit par demander :
— Et comment comptez-vous vous servir exactement de cette infortunée ressemblance avec lord Marston ?
— Marston est mort, intervint Lucas. Il est mort après plusieurs années de captivité durant lesquelles il a été torturé par les meilleurs bourreaux de lord Exford, sur ordre du roi Édouard.
Le malaise d’Alexandre s’accentua. Tout cela n’augurait rien de bon. Si l’on résumait la situation, il présentait une similitude physique frappante avec un homme qui était mort sous la torture. Cela ne risquait pas de faciliter ses déplacements dans le royaume à l’avenir... si tant est qu’il lui restât un avenir.
— Marston n’était pas censé mourir, enchaîna le comte. Ce fut une erreur d’autant plus regrettable qu’il était sur le point de nous livrer des renseignements très utiles pour reprendre Dunleavy Castle.
— C’est bien malheureux, en effet, ironisa Alexandre.
Il ne pouvait tout simplement pas s’en empêcher. Le comte le fusilla du regard avant de reprendre :
— Sa mort pourrait bien vous servir, Ashby. Aussi, si j’étais vous, je me garderais bien de m’en moquer !
— Je ne me moque pas de la mort d’un homme, mais plutôt de... Oh, peu importe ! grommela Alexandre, à qui toute cette histoire laissait un goût amer dans la bouche. L’ennuyeux, c’est que je ne sais toujours pas ce que vous attendez de moi. Alors parlez et qu’on en finisse !
L’insolence était flagrante, et que le comte fasse ce qu’on lui demandait plutôt que de mettre un terme à leur conversation sur-le-champ disait assez l’importance de l’affaire.
— Nous prenons nos ordres du roi Édouard lui-même. Or, il exige la reddition de Dunleavy. À plusieurs reprises, nous avons fait le siège du château, mais les méthodes traditionnelles n’ont rien donné jusqu’à présent. Je me retrouve donc dans l’obligation d’envisager une solution moins... orthodoxe, dès lors que l’occasion m’en est donnée.
Lucas, qui semblait sur le point d’exploser, protesta :
— Voyons, messire, ce n’est pas possible ! Cet homme n’est guère plus qu’un brigand, un réprouvé de l’ordre du Temple qui n’a pas hésité à dépouiller ses frères d’armes à la première occasion. Vous ne pouvez lui faire confiance...
— C’est aussi un bretteur émérite, coupa le comte. Meilleur peut-être que Marston lui-même. Sans compter qu’il a lui aussi subi des tortures qui ont laissé des marques
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