Le trésor
les pierres de l’escalier donna la pleine mesure de sa frayeur. Pongo se mit à rire, alla jusqu’à la porte dont il fit jouer le battant, découvrant la torche, fixée dans des griffes de fer qui éclairait le palier désert.
— Intéressant…, dit-il seulement.
Mais Gilles était déjà dehors. Sans plus réfléchir, il s’était rué sur cette porte ouverte, ce symbole d’une liberté dont il avait plus que jamais besoin, comptant peut-être sur une chance exceptionnelle, sœur de celle qui, un jour, au collège Saint-Yves de Vannes avait changé complètement l’orientation de sa vie 5 . Parce que le concierge avait mal refermé sa porte et parce que lui avait osé franchir cette porte, son destin avait changé de cap. Au lieu de la grisaille du séminaire, il avait connu les immensités et les fulgurants soleils d’Amérique, les hasards et les fièvres de l’aventure et tout ce qui en était résulté pour lui jusqu’à ce couronnement qu’avait été son mariage avec Judith de Saint-Mélaine.
Au passage, il avait pris Pongo par la main.
— Viens… Il faut tenter le tout pour le tout. Il y a peut-être là un signe.
Ensemble, ils se ruèrent dans l’escalier mais, très vite, Pongo s’arrêta, retint son maître : des bruits de pas nombreux, des cliquetis d’armes qui montaient se faisaient entendre.
— Pas possible ce soir ! chuchota-t-il. Porte ouverte, oui, mais encore beaucoup d’autres et des gardes, des grilles, des fossés…
— Les gardes sont vieux pour la plupart puisque ce sont des invalides, les portes peuvent s’ouvrir, les grilles aussi, les fossés se franchissent…
— Tout cela possible avec armes. Nous pas d’armes…
— Nous en prendrons au premier soldat qui se présentera. Viens !
Mais non seulement Pongo refusa de bouger mais il obligea Tournemine à remonter quelques marches.
— Non. Quoi se passer si nous échouer ? Si nous surpris ? Nous tués ?
— Non. Mais peut-être jetés au cachot et séparés… Tu as raison, viens !… On pourra toujours essayer de nouveau dans trois jours… avec une arme cette fois.
— Quelle arme ?
— Cet homme qui est venu ce soir avait une épée au côté…
La troupe qui montait l’escalier devait être importante. Il eût été sans doute impossible d’en franchir la masse. Sans bruit, les deux hommes regagnèrent leur cellule dont ils prirent soin de refermer la porte aussi soigneusement que possible. L’instant d’après d’ailleurs, le bruit d’une course affolée et le claquement précipité des verrous leur apprirent que Guyot, revenu de sa frayeur, s’était posé des questions à ce sujet. L’écho de son soupir de soulagement leur parvint même par le guichet resté lui aussi ouvert. Il était temps : une grosse escouade envahissait l’escalier, escortant un nouveau prisonnier.
— Tu as bien fait de m’arrêter, dit Gilles amèrement. On ne s’évade pas de la Bastille… ou alors il y faut une minutieuse préparation. Et nous n’avons que trois jours. Trois jours ! cria-t-il soudain, envahi par la rage en assenant sur la table un si violent coup de poing que l’un des pieds du meuble se rompit.
« Pourtant, dans trois jours, si je n’ai pas remis ce que je considérais comme un dépôt sacré… et que d’ailleurs je ne possède plus puisque j’ai brûlé lettre et sachet et que Judith a emporté le portrait, dans trois jours dis-je, il faut que je ne sois plus ici. »
— Toi dire être impossible s’en aller ?
Tournemine haussa les épaules.
— Il y a toujours un moyen de s’en aller, Pongo. Il reste la mort…
En dépit de son impassibilité naturelle, l’Indien tressaillit :
— La mort ? …
— Mais oui… et ce sera peut-être la meilleure solution. La vie de Mme de Tournemine ne sera plus en danger dès l’instant où j’aurai cessé de vivre et je n’offenserai même plus Dieu puisqu’en mourant je préserverai une autre vie. Dans trois jours, si notre situation n’a pas changé, il faut que cet homme ne trouve plus qu’un cadavre.
— Comment mourir ? Toujours pas d’armes…
— Il y a cent moyens : se pendre avec sa cravate, faire appeler l’un des officiers et le maîtriser pour lui enlever son épée…
— Bonne idée. Mais alors pourquoi ne pas prendre épée pour sortir ?
Après tout pourquoi pas ? Tout valait mieux que se ronger les poings dans l’inaction et mourir misérablement. Tenter une sortie
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