Le trésor
désespérée lui permettrait au moins, à défaut de liberté, de perdre la vie de la seule manière qui lui convînt : l’épée à la main. Et puis, qui pouvait savoir ? Des entreprises plus folles avaient réussi avec l’aide de Dieu.
— Reste à savoir, murmura-t-il poursuivant à haute voix sa pensée, si Provence, au cas où nous nous échapperions, laisserait vivre Judith. Ce misérable est capable de tout pour se venger et me détruire. Non, Pongo, j’ai bien peur que ma mort ne soit la seule solution possible pour la sauver.
— Alors, conclut l’Indien tranquillement, moi mourir avec toi. Plus rien à faire ici et, dès demain, moi commencer mon chant de mort.
Gilles n’entreprit pas de le dissuader. Il savait que cela ne servirait à rien et qu’une fois une décision prise, Pongo n’en démordait pas. La mort, pour les Indiens, était une compagne quotidienne, si familière qu’elle ne leur inspirait pas la moindre crainte, quelle que puisse être l’horreur du visage quelle offrait. Tous savaient, dès l’enfance, qu’au jour choisi par le Destin, il leur suffirait de la prendre par la main et de se laisser conduire par elle vers le fabuleux pays des grandes chasses éternelles et du printemps sans fin, domaine personnel du Grand Esprit. C’était une vieille amie qu’il convenait d’accueillir avec honneur en lui chantant une fière bienvenue, plus chaleureuse encore si elle se présentait devant un poteau de torture…
Se préparant à suivre son maître, Pongo se devait donc d’exécuter son chant de mort. Mais connaissant ses étranges capacités musicales et la qualité très particulière de sa voix, Gilles se prit à songer qu’il serait peut-être intéressant d’observer l’effet de cette création artistique sur les oreilles et les nerfs des gens de la Bastille. Qui pouvait dire si des occasions inattendues ne se produiraient pas ?
Mais le chevalier ne devait jamais savoir s’il serait lui-même capable de supporter les incantations funèbres de l’Indien dont le lever du soleil devait être le signal car, en plein cœur de la nuit, alors que l’obscurité était profonde et le silence quasi total, le vacarme des verrous et des clefs se fit entendre de nouveau.
Réveillé en sursaut, Gilles se dressa sur son séant, retrouvant d’instinct, comme au temps des attaques nocturnes, le geste de chercher son épée. Mais il ne s’agissait plus de guerre : éclairés par la lanterne que brandissait un porte-clefs bâillant à se décrocher la mâchoire, un piquet de quatre soldats encadrait la silhouette sévère de M. le chevalier de Saint-Sauveur, lieutenant pour le roi de la Bastille.
— Veuillez vous habiller et me suivre, monsieur, dit-il. Et veuillez aussi vous hâter.
En dépit de l’appareil plutôt sinistre de cette mise en scène qui pouvait ne rien présager de bon, le prisonnier sentit une brusque vague d’espoir l’envahir. Allait-on le conduire devant un tribunal, l’interroger enfin, lui faire entendre ce que l’on avait à lui reprocher au juste en haut lieu et quelle peine il pouvait encourir ?
Le bon Louis XVI avait aboli la torture. Il n’avait donc plus rien à craindre de cette affreuse machinerie médiévale et, en admettant qu’on eût décidé de l’exécuter avec ou sans jugement, ce serait toujours autant de fait. Il n’aurait pas à se donner la mort.
Ce fut donc avec une sorte de hâte joyeuse qu’il enfila ses vêtements puis, tapant sur l’épaule de Pongo pour l’inciter à prendre patience, se tourna vers l’officier.
— Me voici, monsieur. Me direz-vous où vous me conduisez ?
— Vous le verrez bien, monsieur. Allons !
Les quatre soldats encadrèrent le prisonnier, s’engagèrent dans le couloir puis entamèrent la longue descente de l’étroit escalier à vis qui menait à la plus grande cour de la Bastille, celle que l’on nommait la seconde cour.
À se retrouver soudain à l’air libre, Tournemine éprouva une de ces petites joies simples comme apprennent à les apprécier les prisonniers et emplit avec délices ses poumons de la brise fraîche de la nuit.
Étant donné l’heure tardive, la grande cour aurait dû être déserte. Mais la première chose que vit Gilles fut une voiture fermée et grillagée entourée d’un peloton de gardes de la Prévôté à cheval. Un officier qu’il ne connaissait pas arpentait les gros pavés de la vieille forteresse devant la portière ouverte de
Weitere Kostenlose Bücher