L’élixir du diable
compétences techniques adéquates pour produire d’énormes quantités de drogues synthétiques susceptibles de plaire aux masses, de chimistes capables de fabriquer, disons, de la méthamphétamine – la meth, dans le jargon des camés – à partir de ses précurseurs chimiques, éphédrine ou pseudoéphédrine, sans pour autant s’envoyer en l’air. Une réglementation plus stricte compliquant la vente des ingrédients de base – au grand dépit de la horde de lobbyistes des trusts pharmaceutiques –, il avait fallu trouver d’autres solutions. Corliss se souvenait d’avoir participé à l’arrestation d’un chimiste américain à Guadalajara, quelques années plus tôt, à l’époque où il dirigeait le bureau de la DEA à Mexico. Cet homme aigri, professeur de chimie au chômage, travaillait pour les cartels et avait gagné une petite fortune en découvrant comment utiliser des réactifs légaux, prêts à l’usage, pour fabriquer des précurseurs de la meth à partir de rien. Les avantages en nature – baiser, boire et, oui, se défoncer – constituaient un bonus autrement plus attractif que corriger des copies et éviter les couteaux à cran d’arrêt dans son lycée de banlieue.
En plus de la conception et de la fabrication des drogues, les scientifiques se révélaient inestimables pour imaginer des moyens originaux de leur faire passer illégalement les frontières. Une des équipes de Corliss avait récemment intercepté une cargaison de purée de pommes de terre en poudre en provenance de Bolivie. Il avait fallu deux semaines aux techniciens de la DEA pour récupérer les deux tonnes de cocaïne qu’on avait chimiquement infusées dedans. Un mois plus tard, une cargaison d’huile s’était révélée un filon du même tonneau.
Les produits chimiques ont des qualités mystérieuses, cachées.
Les libérer et les mettre en pratique de manière originale pouvait changer totalement la donne pour les cartels – et leur rapporter des milliards.
D’où la nécessité de cerveaux connaissant les techniques indispensables.
D’où les enlèvements qui venaient d’avoir lieu.
Jusque-là, les enquêteurs n’avaient pas grand-chose en fait d’indices. Ils n’avaient alpagué aucun suspect. D’après les vidéos des caméras de surveillance et les témoins, les kidnappeurs étaient des Blancs costauds, et c’était à peu près tout. Un témoin avait cependant précisé qu’ils avaient « le type motard ». Cela ne constituait pas un progrès majeur en soi, pas en Californie du Nord, où les bandes de motards sévissaient en nombre et contrôlaient une partie importante du trafic de drogue – ils étaient en fait à l’origine de la montée de la meth –, mais c’était révélateur à d’autres égards.
Les règles du jeu avaient changé.
Depuis dix ans environ, les cartels mexicains s’étaient quasiment emparés du trafic de drogue aux Etats-Unis, le hissant à un niveau de violence sans précédent. Ne se contentant plus de leur rôle établi de longue date de principal fournisseur de marijuana du pays, ils avaient étendu leur territoire et accru leur puissance après « la Guerre à la drogue » menée par l’administration américaine, qui avait pris pour cible les trafiquants colombiens et sévèrement réduit leurs activités dans les Caraïbes et le sud de la Floride. Les Mexicains avaient occupé la place laissée vacante. Ils avaient commencé par arracher la distribution de la cocaïne aux Colombiens harcelés puis ils avaient élargi leur horizon. De simples « mules », ils étaient devenus acteurs principaux et avaient mis la main sur la chaîne d’approvisionnement. Et il ne leur avait pas suffi d’inonder les Etats-Unis de coke et d’héroïne. Déterminés à aller de l’avant, ils étaient passés aux drogues de l’avenir : celles qu’on pouvait fabriquer n’importe où, celles que les utilisateurs pouvaient consommer sans trop de complications. C’étaient les cartels mexicains qui avaient compris les premiers le potentiel de la méthamphétamine et avaient fait de cette drogue grossière de motards cantonnée dans les vallées de Californie du Nord le plus gros problème de stupéfiants jamais posé à l’Amérique. D’autres drogues synthétiques – sous forme de pilules, un sacré progrès, exit l’attirail encombrant des camés des générations précédentes – avaient bientôt fait leur apparition.
Les cartels mexicains menaient
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