L’élixir du diable
maintenant le jeu et à travers tous les Etats-Unis les bandes de motards, les bandes des rues et des prisons leur servaient de petits soldats. Selon les derniers chiffres de la DEA, les cartels avaient étendu leurs activités à plus de deux cent cinquante grandes villes du pays. De Washington au Maine, les grossistes mexicains contrôlaient tout et se révélaient de fins négociants. Leur puissance était démesurée, leur ambition dévorante et leur impudence sans limite. Rien ne semblait pouvoir les ébranler alors qu’ils étaient quasiment en guerre avec le gouvernement des Etats-Unis, une guerre non déclarée qui coûtait bien plus de vies américaines que celles livrées dans les déserts, à des milliers de kilomètres à l’est.
Une guerre qui avait infligé à Corliss de profondes blessures.
Des blessures qu’il n’oublierait jamais.
Souvenirs d’une soirée de violence au Mexique, comme la douleur qui palpitait en ce moment dans son échine, et qui se réveillait toujours aux moments les moins opportuns.
L’hypothèse qu’un cartel mexicain était derrière l’enlèvement de chercheurs américains était étayée par les progrès importants obtenus par la DEA et d’autres agences en fermant des centaines de laboratoires clandestins de fabrication de meth à travers les Etats-Unis. Ces victoires avaient repoussé la production au sud de la frontière, où les narcos avaient installé de superlabos hors de portée des autorités mexicaines, où les talents des scientifiques kidnappés feraient probablement merveille. De plus, ce n’était pas la première fois que ce genre d’événement se produisait. D’autres scientifiques avaient disparu. A quatre reprises déjà, des chimistes travaillant pour de grandes entreprises pharmaceutiques avaient été enlevés en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Sans demande de rançon. On ne les avait jamais revus. Tout simplement. Puis deux autres incidents avaient suivi, cette fois du côté américain de la frontière. Un professeur de chimie d’El Paso, un an plus tôt. Un autre, quelques mois plus tard, à la sortie de Phoenix, kidnappé avec son assistant de laboratoire.
Et maintenant ça.
Sur le territoire même de Corliss.
Une fusillade mortelle dans un coin idyllique de la côte Pacifique.
Corliss avait soupçonné qu’il s’agissait de Navarro dès qu’il avait appris la nouvelle. A la différence de ses collègues, Corliss n’avait jamais cru que Navarro avait été tué pendant un affrontement entre cartels. Il savait que le monstre était encore en vie et quand Corliss avait vérifié les domaines de recherche des scientifiques enlevés – comme il l’avait fait pour les kidnappings précédents – il n’avait plus eu aucun doute. Cela correspondait à un schéma qu’il avait repéré mais gardé pour lui.
Jusqu’à présent.
Raoul Navarro, El Brujo – surnom signifiant le chaman, le sorcier, l’adepte de la magie noire –, était toujours à l’œuvre. Corliss en était sûr.
La brûlure s’intensifia dans sa colonne vertébrale.
Il devient plus féroce, plus hardi, plus téméraire, pensa-t-il.
Ce qui pouvait signifier deux choses.
Soit ce salaud était aux abois. Soit il se rapprochait.
Dans un cas comme dans l’autre, c’était une mauvaise nouvelle.
Ou peut-être… une possibilité.
De se venger.
Corliss aspirait à se venger depuis le jour où Raoul Navarro et ses hommes lui étaient tombés dessus.
Les mains moites, tremblantes, il prit dans le tiroir de son bureau une petite fiole en plastique d’aspect anodin. Après un coup d’œil furtif à la porte pour vérifier que personne ne pouvait le voir, il glissa deux pilules dans sa bouche et les avala, sans eau. Il n’avait pas besoin d’eau. Plus maintenant. Il prenait ces pilules depuis si longtemps.
Pour l’heure, il n’avait aucune preuve qu’il s’agissait bien de Navarro, naturellement, et il n’avait pas l’intention d’exprimer ses soupçons. Il l’avait déjà fait, des années plus tôt, à propos de la prétendue mort du caïd, et il ne connaissait que trop les ragots qu’on échangeait derrière son dos autour du distributeur d’eau fraîche. Apparemment, ses collègues et ses supérieurs n’avaient pas de temps à perdre avec sa « fixation délirante » sur l’homme qui avait anéanti sa vie, l’homme qui lui avait pris ce qu’il avait de plus cher au monde.
Il se fichait de ce qu’ils pensaient.
Il savait
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