L'empereur des rois
bataille à venir, ces ponts, ce mouvement des troupes qui balaieront le plateau de Wagram après avoir touché la rive gauche, là où l’archiduc Charles ne les attend pas, en aval d’Aspern et d’Essling.
C’est un bref moment de joie. Il a la vision du mouvement des troupes. Il fera intervenir l’artillerie en masse, comme on ne l’a jamais fait avant lui dans les batailles. Il trompera l’archiduc Charles en lui faisant croire qu’il porte son assaut sur Essling et en le tournant.
Il revient à la table des cartes. Il pointe le doigt sur Gross-Enzersdorf. C’est là que se jouera la bataille.
Il fait quelques pas dans ce bureau. Il ne peut penser à autre chose qu’à cet affrontement qui approche et dont il doit tenter de prévoir le déroulement.
Après, la victoire acquise, viendra peut-être la paix. Il la désire. Il a besoin de vivre autrement, d’arrêter cette course endiablée dont il ne peut interrompre le cours.
Il prend, sur la petite table placée près de celle où sont déployées les cartes, les lettres de Marie Walewska.
Il trace quelques mots. Il voudrait qu’elle vienne le retrouver ici, comme elle le fit au château de Finckenstein.
« Tes lettres m’ont fait plaisir, comme toujours, écrit-il. Je n’approuve guère que tu aies suivi l’armée à Cracovie, mais je ne puis te le reprocher. Les affaires de Pologne sont rétablies et je comprends les anxiétés que tu as eues. J’ai agi, c’était mieux que te prodiguer des consolations. Tu n’as pas à me remercier, j’aime ton pays et j’apprécie à leur juste valeur les mérites d’un grand nombre des tiens.
« Il faut plus que la prise de Vienne pour amener la fin de la campagne.
« Quand j’en aurai terminé, je m’arrangerai pour me rapprocher de toi, ma douce amie, car j’ai hâte de te revoir. Si c’est à Schönbrunn, nous goûterons ensemble le charme de ses beaux jardins et nous oublierons tous ces mauvais jours.
« Prends patience et garde confiance.
« N. »
Je n’ai jamais eu personne vers qui me tourner pour lui demander de me rassurer .
C’est en moi, en moi seul, que je dois puiser toute l’énergie et toute la confiance qui me sont nécessaires .
Dieu ? Il est silencieux. Et le pape, qui se prétend son représentant, m’excommunie !
« Plus de ménagements pour ce pape, c’est un fou furieux qu’il faut enfermer. »
À quoi me servirait d’être prudent avec des ennemis qui me vouent à l’enfer ?
Il me faut tenir tous les fronts, vaincre ici, régner partout. À Rome comme à Paris .
Il écrit à Fouché. Le duc d’Otrante doit prendre en main tous les pouvoirs que détenait le ministre de l’Intérieur, Crétet, malade de surmenage.
Est-ce que j’ai le loisir d’être malade ?
Il se tourne vers son secrétaire.
— Un homme que je fais ministre, lui lance-t-il, ne doit plus pouvoir pisser au bout de quatre ans !
C’est cela le pouvoir, se donner jusqu’au bout de ses forces, ou alors renoncer. Fouché est un homme trempé, qui saura tenir le pays .
Et puis la victoire fera taire les critiques, dissipera les inquiétudes. Pour l’instant, tant que les armes n’ont pas tranché, que Fouché tienne d’une main de fer la Police générale et le ministère de l’Intérieur .
« Je suis bien tranquille, vous y êtes, dicte-t-il. Tout cela changera dans un mois. »
Quand j’aurai défait l’archiduc Charles .
Alors parades, revues, inspection.
Chaque jour il est dans l’île Lobau. Il marche les mains derrière le dos durant sept à huit heures. Il s’arrête devant chacun des cent canons dont il a fait armer l’île. Il questionne le colonel Charles d’Escorches de Sainte-Croix. Il apprécie ce jeune officier d’à peine trente ans, fils d’un ancien ambassadeur de Louis XVI. Il veut que l’officier soit présent à Schönbrunn chaque matin à son lever, à l’aube, pour rendre compte de ce qui s’est passé dans la nuit sur l’île Lobau.
Sainte-Croix mesure-t-il mon inquiétude ? Sait-il que chaque nuit je crains une attaque de l’archiduc Charles sur l’île ?
Mais les Autrichiens ne pensent qu’à se fortifier !
Napoléon monte sur une immense échelle double dont le sommet dépasse la cime des arbres, et que Sainte-Croix a fait placer sur une hauteur de l’île Lobau de telle sorte que, des derniers degrés, on puisse apercevoir toute la rive gauche du Danube.
Napoléon reste longtemps agrippé à l’échelle.
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