L'empereur des rois
continuait de penser.
« Je travaille toujours, lui disait-il. Rien ne peut m’empêcher de méditer. Je travaille en dînant, au théâtre, la nuit je me réveille pour travailler. » Je travaille en aimant.
Maintenant, il n’a plus rien dans la tête quand Marie-Louise est là contre lui, corps soumis et généreux, ample et souple comme celui d’une jeune jument qu’il veut dresser. Et plus rien ne l’obsède que d’être ce maître de manège.
Il a hâte d’en finir avec ces jours de cérémonie, et cependant il veut ce triomphe pour qu’elle sache qu’il est l’Empereur des rois et que les fastes de Paris, sa capitale, dépassent tout ce qu’elle a vu, ce qu’elle a pu imaginer. Et il faut qu’on la voie, elle, si jeune, l’épouse de l’Empereur.
Le dimanche 1 er avril, il la conduit à 14 heures vers leurs fauteuils placés sur une estrade et sous un dais, au bout de la grande galerie du château de Saint-Cloud.
Toute la cour se presse. Il serre la main de Marie-Louise quand elle répond, après lui : oui, elle veut être l’épouse de Napoléon.
— Au nom de l’Empereur et de la loi, je déclare unis…, commence Cambacérès.
Mais les canons placés sur la terrasse du château se mettent à tirer, et aux détonations se mêlent les cris de la foule.
La nuit, il l’entraîne vers la fenêtre qu’elle aime à garder ouverte. Le parc du château est illuminé, la foule encore nombreuse.
Il la cache derrière les rideaux. Il ne veut pas qu’on les voie. La nuit, elle n’est qu’à lui.
Mais, le lundi 2 avril, il la veut parée de la couronne et du manteau de l’Impératrice. Il avance cependant que ses soeurs soulèvent les pans de ce manteau que Joséphine a porté autrefois.
Mais aujourd’hui est mon véritable sacre. J’entre par cette union dans la famille des rois. Et je suis le premier de tous .
Il observe Marie-Louise. Il ne quitte pas ses yeux écarquillés. Une haie de troupes borde la route de la porte Maillot aux Tuileries. Les cavaliers de la Garde caracolent. Partout la foule. Sur l’esplanade de Chaillot, elle est massée dans deux vastes amphithéâtres. Les salves d’artillerie ponctuent la marche du cortège. Il se penche vers Marie-Louise pour mieux saisir sa surprise devant l’arc de triomphe de l’Étoile, sous lequel ils vont passer. Il a voulu que le monument à peine commencé soit achevé à l’aide de charpentes et de toiles afin que l’illusion soit parfaite. Il est fier. C’est la capitale dont il est le maître.
Elle n’a jamais vu les Tuileries, le Louvre. Le soleil illumine les vitres, éclaire les galeries où se pressent près de dix mille personnes. Il reconnaît le prince Kourakine, l’ambassadeur de Russie, qui fait bonne figure. Voici Metternich, triomphant.
Et toutes ces femmes autour d’eux qui se pressent pour la voir, celle que je tiens par la main, l’Impératrice, l’archiduchesse d’Autriche, d’à peine dix-huit ans .
Il entre dans le salon carré transformé en chapelle. Tout à coup, il a chaud sous sa toque de velours noir, son manteau et sa culotte de satin blanc. Il se sent engoncé dans ses vêtements couverts de diamants. Il voit Marie-Louise, rouge sous sa couronne, près de défaillir. Que le cardinal Fesch commence afin que cette cérémonie du mariage religieux soit la plus brève possible. Il a hâte d’en finir. Il aperçoit des sièges vides, ceux des évêques, qui, par fidélité au pape et pour protester contre les mesures prises contre lui, ont refusé d’assister à la cérémonie. Il se sent envahi par la colère.
Il veut que Bigot de Préameneu, ministre des Cultes, convoque ces cardinaux, qu’il les inculpe d’injure grave, qu’il leur interdise tout signe extérieur de dignité épiscopale, qu’ils deviennent des « cardinaux noirs » comme des corbeaux.
« Moi seul dans mon Empire, je désigne les évêques… Ce n’est pas le pape qui est César, c’est moi ! Les papes ont fait trop de sottises pour se croire infaillibles. Je ne souffrirai pas ces prétentions, le siècle où nous vivons ne les souffrira pas ! Le pape n’est pas le grand lama. Le régime de l’Église n’est pas arbitraire. Si le pape veut être le grand lama, dans ce cas je ne suis pas de sa religion. »
Il passe, sombre, dans la galerie, et il sent autour de lui la surprise que suscite sa physionomie.
On ouvre les portes qui donnent sur le jardin. L’air vif enfin ! La Garde défile.
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