L'empereur des rois
détendu.
« Il faut être circonspect dans les négociations, lui dit-il. Marcher doucement et voir venir. »
Il observe longuement Talleyrand. Il devine les pensées que cache ce visage poudré, souriant, qui ne laisse paraître aucune émotion. Talleyrand, au lieu de se trouver en Pologne, à Varsovie ou à Finckenstein, préférerait jouir de sa fortune dans son hôtel de la rue d’Anjou !
Ces messieurs Talleyrand, Caulaincourt et leur coterie n’aiment pas les bivouacs ni les logements de hasard .
Croient-ils que je les aime ? Imaginent-ils que je suis un fou de guerre ? Ou bien, comme l’a murmuré Caulaincourt, que je cède à la « polonaisomanie » ?
Depuis que Marie Walewska est arrivée à Finckenstein, une nuit, début avril, en compagnie de son frère, Théodore Laczinski, un capitaine des lanciers polonais qui sert dans la Grande Armée, Napoléon perçoit dans son entourage, malgré les courbettes et le silence, des réticences. On parle de son « épouse polonaise » qui l’inciterait à prolonger la guerre parce qu’elle souhaite voir renaître son pays.
Clabauderies ! Comme s’il était homme à se laisser dicter ses choix par une femme !
Il vit avec elle dans une douceur paisible. Elle ne sort pas de sa chambre, n’assiste pas aux parades, garde souvent les volets clos. Mais elle est là, la nuit, jeune source d’énergie, elle est assise près de lui silencieuse pendant qu’il écrit et annote.
Parfois il lui lit quelques phrases d’une instruction qu’il rédige, mais il ne s’agit que d’affaires lointaines pour elle, un règlement sur la formation intellectuelle et morale des jeunes filles pensionnaires de la Légion d’honneur, ou bien la création d’une classe d’histoire au Collège de France, ou encore le texte d’un arrêté différenciant les quatre grands théâtres de Paris : Comédie-Française, Odéon, Opéra, Opéra-Comique.
Il la regarde. Il veut, dit-il, qu’elle vienne à Paris. Elle découvrira sa ville, la France. Il est l’Empereur. Il a le pouvoir de tout décider.
Elle le fixe longuement, puis elle baisse la tête. Elle est humble, tendre. Une femme qui l’apaise.
Les autres femmes, sa mère même, ses soeurs, et naturellement Joséphine, il doit les morigéner, les flatter, se moquer d’elles parfois. Elles sont pendues à ses basques ou bien elles le harcèlent, elles l’obligent à les tancer.
« Madame, doit-il écrire à sa mère, tant que vous serez à Paris, il est convenable que vous dîniez tous les dimanches chez l’Impératrice, où est le dîner de famille. Ma famille est une famille politique. Moi absent, l’Impératrice en est toujours le chef… »
Il doit défendre Joséphine contre sa mère mais lui rappeler qu’elle est l’Impératrice, qu’elle a donc un devoir de réserve.
« Je désire que tu ne dînes jamais qu’avec des personnes qui ont dîné avec moi ; que ta liste soit la même pour tes cercles ; que tu n’admettes jamais à la Malmaison, dans ton intimité, des ambassadeurs et des étrangers ; si tu faisais différemment, tu me déplairais. Enfin, ne te laisse pas trop circonvenir par des personnes que je ne connais pas et qui ne viendraient pas chez toi si j’y étais. »
Il doit toujours être aux aguets. Veiller à tout.
Marie seule est ma paix .
Joséphine est jalouse d’elle ? Il suffit de se moquer : « Ta petite tête créole se monte et s’afflige, tu deviens toute diablesse… »
Que peut-elle faire de plus ?
C’est à moi de décider de son sort. Comme je décide de tout .
Je dois décider pour le maréchal Lefebvre qui piétine devant Dantzig. Lefebvre est impétueux, courageux, mais il faut lui adjoindre des généraux du génie, Lariboisière, Chasseloup-Laubat, capables d’ouvrir des brèches dans les fortifications .
Il faut l’encourager : « C’est lorsque l’on veut fortement vaincre que l’on fait passer sa vigueur dans les âmes. » Il faut le conseiller : « Chassez de chez vous à coups de pied au cul tous les petits critiqueurs. » Il faut aussi le retenir.
Napoléon se souvient du siège de Saint-Jean-d’Acre, des assauts inutiles, de ce carnage vain. Et le cimetière d’Eylau est devant ses yeux, si proche.
« Réservez le courage de vos grenadiers pour le moment où la science dira qu’on peut l’employer utilement, écrit Napoléon. Et en attendant, sachez avoir de la patience… Quelques jours perdus ne méritent
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