L'empereur des rois
touchent, mais je voudrais vous savoir plus de courage. Vivre, c’est souffrir, et l’honnête homme combat toujours pour rester maître de lui. Je n’aime pas vous voir injuste envers le petit Napoléon-Louis 2 et envers tous vos amis.
« Votre mère et moi avions l’espoir d’être plus que nous ne sommes dans votre coeur. J’ai remporté une grande victoire le 14 juin. Je me porte bien et vous aime beaucoup. »
À quoi bon parler de la bataille à une mère suffoquée par sa douleur, et qui n’entend rien d’autre que sa peine ? Il la comprend mais il ne peut admettre une telle soumission à sa souffrance, une telle complaisance à soi, et aussi une si grande indifférence au monde qui continue sa route malgré la mort.
Le vendredi 19 juin, il entre à Tilsit, traverse la ville. Les rues sont droites, larges, pavées de pierres disjointes sur lesquelles les chevaux butent et glissent. Il va jusqu’au bord du Niémen. Un pont brûle encore. Sur la rive droite, des cavaliers cosaques caracolent. Le fleuve est large.
Il se souvient des fleuves d’Italie, de ces ponts de Lodi et d’Arcole qu’il a franchis sous la mitraille. Il est ici au bord de ces eaux bleues qui coulent rapidement et marquent le début de cet autre grand Empire, la Russie.
Il apprend, à son retour à Tilsit, que le prince Lobanov vient d’arriver, porteur de la demande d’armistice que sollicite Bennigsen.
Napoléon veut plus que cela. Il est en position de force.
« La jactance des Russes est à bas, dit-il ; ils s’avouent vaincus ; ils ont été furieusement maltraités. Mes aigles sont arborées sur le Niémen ; l’armée n’a point souffert. »
Ce qu’il veut imposer, ce n’est pas un armistice mais la paix.
D’ailleurs, ils la lui réclament tous – Talleyrand, Caulaincourt, et même les maréchaux. Quant aux grognards, ils la désirent aussi. Voilà plus d’une année qu’ils n’ont pas revu la France.
Et lui, croit-on qu’il ne la veuille pas ?
Il envoie le grand maréchal Duroc à Bennigsen. Il invite le prince Lobanov à sa table. Il regarde longuement l’envoyé de Bennigsen, puis il lève son verre avec solennité. Il boit, dit-il, à la santé de l’empereur Alexandre. Il prend Lobanov par le bras, l’entraîne vers une carte, lui montre la Vistule, en suit le cours du doigt.
— Voici la limite entre les deux Empires, dit-il. D’un côté doit régner votre souverain, moi de l’autre.
Le dimanche 21, un armistice est conclu.
« Je me porte à merveille et désire te savoir heureuse », écrit-il à Joséphine.
Il est gai.
Peut-être est-ce enfin la paix, l’entente avec le tsar, qui contraindra l’Angleterre à accepter pour la première fois depuis 1792 la France telle qu’elle est devenue.
Le lundi 22 juin, il ordonne que les canons tonnent pour annoncer la mise en application de l’armistice. Il pleut sans discontinuer, mais il voit les soldats s’embrasser sous l’averse. Il se met à dicter avec allégresse la proclamation à la Grande Armée, qui va clore cette campagne.
« Soldats, dit-il, le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnements par l’armée russe… L’ennemi s’est aperçu trop tard que notre repos était celui du lion. Il se repent de l’avoir troublé… Des bords de la Vistule nous sommes arrivés sur ceux du Niémen avec la rapidité de l’aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz l’anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement célébré celui de Marengo… »
Maintenant il doit leur parler de la paix.
« Français, reprend-il, vous avez été dignes de vous et de moi. Vous rentrerez en France couverts de tous vos lauriers et après avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie de sa durée. »
Il le veut, comme ces soldats dont il aperçoit les silhouettes marchant sous la pluie, la crosse du fusil sous la saignée du bras et le canon appuyé au bonnet à poil.
« Il est temps d’en finir, conclut-il, et que notre patrie vive en repos à l’abri de la maligne influence de l’Angleterre. Mes bienfaits vous prouveront ma reconnaissance et toute l’étendue de l’amour que je vous porte. »
Il doit gagner la bataille de la paix.
Lorsqu’il retrouve le prince Lobanov, il lève à nouveau son verre où pétille le champagne, en l’honneur du tsar Alexandre. Puis il s’enquiert de la santé de la tsarine Élisabeth.
Il remarque que Lobanov est si ému que ses
Weitere Kostenlose Bücher