L'Enfant-Roi
bouger de votre chambre et à ne vous mêler de
rien.
— Suis-je donc prisonnière, Monsieur ? dit-elle
âprement.
— Nenni, Madame, cette mesure n’est que momentanée. Le
roi veillera dans la suite à ce que Votre Majesté se retire dans une ville de
son choix.
— Me voilà donc déposée, et qui pis est, honteusement
chassée ! s’écria la reine avec la dernière véhémence.
— Madame, dis-je, excusez-moi, mais vous ne sauriez
être déposée puisque vous n’êtes pas régnante, ayant renoncé vous-même à la
régence il y a quelques mois. Et le roi par ma bouche vous assure qu’il vous
honorera toujours comme sa mère.
— Il n’empêche, je veux le voir ! dit-elle
avec un présent retour de ses manières despotiques.
— Madame, si Votre Majesté me permet de le lui dire, ce
serait tout à plein inutile de demander un entretien au roi dans le moment
présent.
— Nous verrons cela ! dit-elle avec hauteur.
Monsieur, vous pouvez vous retirer.
Je la saluai et sortis aussitôt, surprenant au passage le
regard étonné que ma bonne marraine me jeta, apprenant tout soudain, à me voir
jouer les missi dominici [101] , que j’avais été du
complot qui avait exécuté Concini. Quant à moi, ce dialogue avec la reine me
confirma dans la pensée que, ce jour d’hui pas plus qu’hier, elle n’entendait
rien et n’entendrait jamais rien, au caractère de son fils, puisqu’elle
espérait le faire changer de résolution en obtenant de lui parler. Incapable de
sortir de l’ornière de ses opinions, elle continuait à faire ce quelle avait
toujours fait : elle le mésestimait.
Comme je sortais de son appartement, j’entendis des voix
irritées, et m’approchant du lieu dont elles provenaient, je vis Monsieur de
Vitry aux prises avec Monsieur de Presles, lieutenant des gardes de la reine, à
qui il commandait, de l’autorité du roi, de retirer ses hommes, les siens les
devant remplacer. Monsieur de Presles refusant tout à trac, Vitry, ivre de
fureur, le menaça de le tailler en pièces, lui et ses hommes. Sur quoi,
Monsieur de Presles alla toquer à la porte de la reine, et Caterina Forzoni
apparaissant, il la pria de demander à la reine quelles étaient ses
instructions. Caterina revint lui dire de la part de sa maîtresse d’avoir à
obéir aux ordres du roi, mais elle s’exprima d’une façon si brutale et si
désobligeante que Monsieur de Presles eut un doute sur sa véracité et demanda à
parler au premier écuyer de la reine, Monsieur de Bressieux, lequel vint enfin
et confirma ce que la reine avait dit. Monsieur de Presles, la crête fort basse
et l’air fort triste, car il entendait bien que sa compagnie allait être
dissoute, emmena alors ses hommes et Vitry les remplaça par douze des archers
du roi, en les cantonnant devant la porte de la reine et en leur commandant de
ne laisser entrer personne. Au rebours des assurances que j’avais cru pouvoir
lui donner, Marie, pour le moment du moins, était donc bel et bien prisonnière
de son fils.
Si elle avait été femme à faire un retour sur elle-même,
elle se serait se peut ramentu que, huit jours auparavant, quand Conchine était
revenu de Caen à brides avalées, il avait pu clamer urbi et orbi qu’il
allait resserrer son fils en son Louvre, sans qu’elle eût fait là-contre la
moindre objection.
En retournant au pavillon du roi, je croisai des maçons
portant chaux, pierres de brique et outils, et des Suisses qui, eux, portaient
des haches. Les premiers allaient murer deux portes dérobées des appartements
de la reine et les seconds, abattre le petit pont de bois qui enjambait les
douves et permettait à Marie de gagner le jardin du bord de Seine. De toute
évidence, le roi craignait quelle ne passât par là pour s’évader et rameuter
des partisans contre un pouvoir qu’il n’avait pas encore eu le temps d’affermir.
Ce matin du vingt-quatre avril, puérilement opiniâtre, Marie
demanda au roi à six reprises de la recevoir, et à six reprises le roi la
rebuffa. À la dernière ambassadrice, Madame de Guercheville, qui, au passage du
roi, se jeta à ses genoux pour lui transmettre la requête de la reine, Louis
répondit avec une extrême froideur : « Je reconnais toujours la reine
pour ma mère, bien qu’elle ne m’ait traité ni en roi ni en fils. Néanmoins, je
la traiterai, moi, toujours comme ma mère. Mais je ne la peux encore voir que
je n’aie donné ordre à mes affaires. »
Ayant dit,
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