L'Enfant-Roi
resserrée dedans le Louvre et
d’y vivre destituée de ses grandeurs passées, Marie préféra se retirer dans une
ville de son domaine, par exemple Moulins. Mais Moulins, comme il apparut vite,
n’étant guère en état de la recevoir, elle demanda Blois, dont le site et le
château l’avaient charmée lors des séjours qu’elle y avait faits.
Elle fit d’autres demandes au roi, et qui ne furent pas
petites : elle voulait détenir dans la ville où elle résiderait un
« absolu pouvoir » ; y jouir de ses revenus, apanages et
appointements sans qu’on rabattît rien sur eux ; y avoir ses gardes, ou
partie de ses gardes ; connaître sans tarder les noms des personnes que le
roi autoriserait à partir avec elle ; faire ses adieux au roi au moment de
son partement.
Résolu d’en agir au mieux avec elle et d’accepter ses
conditions, Louis s’y prit toutefois avec circonspection. Désirant garder une
trace indubitable de cette négociation afin qu’elle ne fût pas un jour
défigurée, il exigea que les demandes de la reine lui fussent faites par écrit
et il répondit aussi par écrit qu’il les accordait.
Avec les mêmes soins et la même prudence, il régla le
protocole des adieux, et fixa jusqu’aux paroles qui y seraient prononcées de
part et d’autre. Connaissant Marie, il craignait qu’elle donnât à la scène des
adieux un caractère outré, qu’il jugeait disconvenable à la dignité de la reine
et à la sienne. L’insensibilité de Marie pouvait, certes, lui assurer, dans les
occasions, une parfaite impassibilité. Elle n’avait pas versé un pleur à la
mort de Nicolas, le départ de Madame pour l’Espagne l’avait laissée de
glace, et dès que la Conchine eut été arrêtée, on eût dit qu’elle ne se
souvenait plus d’elle. En revanche, quand il s’agissait d’elle-même et de ses
propres malheurs, elle était fort capable de crier, de gémir, d’articuler de
furieux reproches ou d’éclater en de bruyants sanglots. Louis, qui se souvenait
des scènes violentes que son père avait essuyées, parfois même en présence de
la Cour, prit le parti de lui écrire d’un bout à l’autre son rollet en ces
adieux, et elle dut promettre de l’apprendre par cœur et de le réciter sans
rien retrancher, ni rien ajouter. Malgré cette promesse, Louis ne laissa pas de
craindre, à ce que j’entendis, qu’elle ne prît des libertés avec son texte.
Le départ de la reine fut fixé au mercredi trois mai, et les
adieux, à deux heures et demie de l’après-dînée. La pluie, qui avait cessé le
vingt-quatre avril (signe qui fut jugé miraculeux), reprit à l’aube du trois
mai, et dans l’entourage de la reine on s’accorda pour dire que le ciel
pleurait la tristesse de cette séparation.
Le roi revêtit ce jour-là un pourpoint de satin blanc
(étoffe et couleur que son père affectionnait dans les grandes occasions), des
chausses écarlates, un chapeau de feutre noir couronné de plumes blanches, et
je fus fort étonné, quant à moi, qu’il se bottât et s’éperonnât en cette
circonstance. Il est vrai que, les adieux finis, il comptait se rendre à
Vincennes pour chasser, mais à l’accoutumée il ne mettait bottes et éperons
qu’à l’arrivée, ne voulant pas souffrir ces incommodités dans le voyage en
carrosse. Madame de Guise, qui plaignait Marie, et perdait aussi en elle une
amie qui la comblait de pécunes, opina que ces bottes et ces éperons étaient
une sorte de braverie du fils à la mère, car il n’eût jamais osé, dit-elle,
avant ce jour, se présenter à elle dans cet appareil.
Je ne sais si elle eut raison là-dessus, car se faisant
suivre dans cette entrevue par la poignée de ses fidèles, Louis en exclut
cependant Vitry et son frère Du Hallier : il craignait que la vue des
meurtriers du Conchine n’offensât la reine.
Outre ses fidèles, Louis admit en ces adieux les
ambassadeurs des royaumes voisins, les voulant témoins d’une séparation sur
laquelle il redoutait qu’on fît à l’étranger, sur le fondement des babillages
de cour, des rapports malveillants.
La scène se passa à l’entresol, dans l’antichambre de la
reine. Le roi, suivi des personnes que j’ai dites, et dont j’étais, y parvint
le premier et n’attendit qu’une petite minute avant que la reine sa mère
apparût sur le seuil de sa chambre, vêtue non pas splendidement comme je m’y
attendais, mais avec une simplicité de bon aloi, sans un bijou et sans
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