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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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se dégager et être vu monter sur le billard. Alors, dans
les cris dévotieux qui de toute part jaillissaient vers lui, des forêts de
mains se tendirent, aussi anxieuses de le toucher que si cet attouchement
devait leur assurer à jamais la paix et le bonheur.
    Les archers, entourant le billard, empêchaient les plus
ardents de monter sur le tapis vert rejoindre le roi. Comme on leur avait, par
sécurité, ôté leurs armes, des deux mains ils tendaient à l’horizontale les
queues de billard pour repousser la foule. Deux de ces queues cassèrent, ce
dont on s’ébaudit fort, tant on était heureux. Pâle et les traits tirés, car
depuis quatre jours il n’avait pu dormir, Louis touchait au comble du bonheur.
Il se sentait des ailes de s’être délivré d’une double tyrannie, serrait des
mains, remerciait, et tantôt riait aux anges, tantôt se cachait la bouche de sa
main, tenant cet excès de rire pour contraire à sa dignité. Chose qui étonna,
lui qu’on réputait si timide et si taciturne, il parlait d’abondance et aux uns
et aux autres répondait avec à-propos.
    Au président Miron, qui s’excusait d’avoir obéi aux ordres
de la reine, il répliqua : « Vous avez fait ce que vous deviez, et
j’ai fait aussi ce que je devais. » À un autre de ses visiteurs il
dit : « L’on m’a fait fouetter des mulets pendant six ans aux
Tuileries : il est bien temps que je fasse ce jour d’hui ma charge. »
Et le souvenir de ses vaines et puériles occupations, du temps où on l’élevait pour
n’être pas roi, revenant le tabuster en son présent bonheur, il éclaira
encore davantage sa conduite passée dans un entretien avec le cardinal de La
Rochefoucauld. Comme le prélat, le voyant assailli de toutes parts, lui
disait : « Sire, vous serez dorénavant autrement occupé que vous
n’avez été jusqu’à ce jour », il répondit : « Que non pas.
J’étais bien plus occupé à faire l’enfant que je ne suis à toutes les affaires
présentes. »
    Il ne les négligeait pas pourtant, agissant au rebours
promptement, avec sagesse et prudence, en dépit du tohou oubohou [97] qui l’entourait. Il refusa
l’élargissement du prince de Condé, attendant pour cela que les Grands fussent
revenus à résipiscence, destitua les ministres de Concini et rappela les Barbons. Au cours de l’après-midi, il monta à cheval, suivi de ses gardes et de
trois cents gentilshommes, et se promena dans les grandes rues de Paris, sous
les applaudissements et les acclamations qui se poursuivirent bien après qu’il
fut rentré dans son Louvre.
     
    *
    * *
     
    Lecteur, plaise à toi de remonter derechef avec moi le temps
de quelques heures, afin que je puisse te présenter hic et nunc un
personnage féminin tout à fait remarquable par son insignifiance, mais dont le
monde a retenu le nom parce que le hasard a voulu quelle se trouvât au lieu
qu’il fallait pour poser une seule petite question et porter la réponse à sa
maîtresse – tâche dont elle s’acquitta, de reste, avec la plus mauvaise
grâce du monde, étant femme fruste et même brutale.
    Elle se nommait Caterina Forzoni. Fille de la nourrice de
Marie de Médicis, elle avait quitté Florence avec la reine et vivait à la Cour
de France depuis dix-sept ans, étant chambrière de nuit de la souveraine :
cela voulait dire qu’elle couchait dans sa chambre et veillait sur son sommeil,
mais seulement une nuit sur trois, partageant ces fonctions avec deux autres
servantes. Bizarrement, assurer ce service nocturne, peu fatigant quand maître
ou maîtresse dormait bien, se disait au Louvre « être de
chevauchée ».
    Caterina se trouva « de chevauchée » dans la nuit
du vingt-trois au vingt-quatre avril, et fut réveillée au milieu de la nuit par
un grand cri de la reine. Fort rechignante et malengroin, et se donnant assez
peu la peine de le dissimuler, Caterina se leva du matelas sur lequel elle
dormait (et qu’elle repliait le matin pour le cacher dans un placard), et
battant le briquet, alluma une bougie sur la demi-douzaine que comportait le
chandelier royal. Elle vit alors la reine dressée sur son séant, l’œil hagard,
les deux mains pressées contre sa poitrine.
    —  Ah, Caterina ! cria-t-elle. Ho sognato un sogno orríbile [98]  !
    Et dans un flot de paroles, elle lui raconta son cauchemar.
    On l’avait traduite devant un tribunal, accusée de crimes
monstrueux et condamnée à mort. Mais à part sa présence et la

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