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PROLOGUE
A la fin du XVII e siècle, le Siam avait vu l'ascension sans précédent de Constantin Phaulkon. L'astucieux marin grec, l'ex-mousse de la Compagnie anglaise des Indes orientales, était devenu Barcalon de Siam, c'est-à-dire Premier ministre d'un pays dont les territoires, plus vastes que la France et l'Angleterre, ne le cédaient qu'à l'Empire du Milieu, autrement dit la Chine, et étaient gouvernés par le tout-puissant roi Narai.
Redoutant les ambitions coloniales des Hollandais, dont les coffres débordaient grâce au monopole du lucratif commerce des épices et dont les yeux gourmands semblaient convoiter le Siam, Phaulkon avait pris sous son bonnet d'annoncer une grande alliance entre le Siam et la France, forgeant les documents nécessaires avec la connivence sur place des jésuites français qui étaient prêts à participer à tout projet susceptible de hâter la conversion du roi Narai. Des exemplaires de l'alliance qui se concoctait furent passés au chef de la factorerie hollandaise au Siam avec un résultat si brillant que les Hollandais, préoccupés par la perte récente de la Flandre devant les armées de Louis XIV, préférèrent ne pas risquer un autre affrontement avec le monarque le plus puissant d'Europe. Pour le moment du moins, ils continuaient à limiter au commerce leurs activités dans le royaume de Siam.
Quand, inévitablement, le stratagème fut découvert en France, l'ire du roi Louis, le Défenseur de la Foi catholique, fut grandement atténuée par l'intervention du père La Chaise, confesseur de Sa Majesté. Ce dernier persuada Louis XIV que Phaulkon le catholique agissait pour promouvoir la cause de la France contre celle des Provinces-Unies protestantes.
Et lorsque, quelques mois plus tard, splendidement gravée sur une feuille d'or, arriva une invitation du roi de Siam suggérant un échange permanent d'ambassades et offrant à Louis — en marque spéciale de son affection — le port de Ligor au sud pour y commercer, le Défenseur de la Foi catholique vit immédiatement les possibilités qui découlaient d'une telle proposition...
1
Golfe du Siam, 30 septembre 1687
Ancrés au large des côtes siamoises, cinq grands navires de guerre, qui dissimulaient leurs canons aussi soigneusement que la mission dont ils étaient investis, se laissaient bercer par la houle annonciatrice de l'aube. Le pavillon qui flottait au sommet de leur mât indiquait leur allégeance à Louis XIV, le Roi-Soleil, l'homme le plus puissant du monde occidental. Dans leurs entrailles vivaient quelque mille quatre cents hommes : ambassadeurs plénipotentiaires, directeurs du commerce, officiers de l'armée de terre et de mer, aides de camp, valets, domestiques, prêtres jésuites, chirurgiens, mathématiciens, menuisiers, cordonniers, maîtres charpentiers, peintres, musiciens, tailleurs et six cents hommes d'armes sous les ordres d'un maréchal de France. Beaucoup étaient malades et épuisés par les sept mois de traversée, les températures glaciales du Nord, la chaleur étouffante des tropiques, les vagues hautes comme des montagnes autour du cap de Bonne-Espérance, le roulis incessant qui donnait la nausée, les interminables journées de confinement. Dans les cales bondées où gisait la majeure partie des soldats, l'odeur de la mort le disputait à la puanteur de la vie. Les corps sales, entassés, gémissaient et remuaient au milieu des vomissures, se tournaient et se retournaient dans l'espace exigu, cherchant vainement le confort.
Ils avaient payé un lourd tribut. Le sort de leurs camarades défunts — quelque deux cents hommes, c'est-à-dire un bon quart des forces combattantes — n'était jamais bien loin de l'esprit des survivants. Ils avaient vu les dents tomber comme feuilles en automne à cause du terrible scorbut, et par les nuits sans lune ils s'étaient demandé, entendant le bruit des cadavres jetés dans l'océan, qui serait la prochaine victime. Si une aide, sous forme de fruits et de légumes frais et d'eau potable,
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