L'envol du faucon
était au quatrième jour, et toujours aucun signe de Tachard. Le jésuite avait été le seul que les Français aient autorisé à débarquer à leur arrivée — sans doute pour informer les Siamois de leurs conditions. Il tardait à Kosa de savoir quelles étaient exactement ces conditions, mais il craignait le pire. On avait choisi le prêtre en vertu de sa connaissance du siamois et parce qu'il était soi-disant ami de Phaulkon, le tout-puissant Pra Klang. Mais jusqu'où pouvait-on faire confiance à Phaulkon ? Là aussi, Kosa avait des doutes. L'homme était un farang, un maudit étranger, et ils étaient tous les mêmes, ces étrangers : obsédés de conquêtes commerciales et de croisades religieuses.
Cébéret fit la grimace. « Je n'ai jamais fait confiance à ces jésuites, Simon. Leur zèle religieux s'est souvent mis en travers des intérêts commerciaux de notre nation. »
La Loubère s'arrêta et mit une main sur l'épaule de Cébéret. « Une fois le Siam entre nos mains, Claude, vous serez libre de dicter la politique commerciale française comme vous l'entendrez. »
Cébéret n'avait pas l'air convaincu : « Mais combien de sang faudra-t-il d'abord verser ?
— L'objet de notre mission, Claude, c'est d'abord et avant tout la conversion du roi de Siam. Par la persuasion si nous le pouvons, ou sinon par la force. Les considérations commerciales, même si elles sont importantes, doivent passer en second. »
Cébéret soupira. « Pourquoi vous, les fanatiques, avez-vous tant de mal à comprendre qu'on peut dominer un pays par une mainmise progressive sur son commerce ?
— C'est là une conséquence de notre objectif, Claude, et non le moyen d'y parvenir. »
Arrivés à l'extrémité du pont, ils firent demi-tour. Une fois de plus, ils se dirigèrent vers l'échelle. Cébéret regarda le chef de la mission avec une répugnance à peine déguisée. « Mon approche est réaliste, la vôtre est tirée par les cheveux. Comment peut-on supposer que le souverain d'une dynastie aussi ancienne que la France, à six mille lieues de distance, envisage d'embrasser la foi d'un pays qu'il n'a jamais vu ?
— Nous ne sommes pas un quelconque pays lointain, Claude. Nous sommes la France, le phare du monde civilisé. En outre, n'est-ce pas la divine Providence qui veut que nous disposions des services d'un catholique au faîte du pouvoir, d'un favori à la
Cour qui n'est autre que le Premier ministre du roi de Siam ? Ce Phaulkon n'a-t-il pas laissé entendre dans ses lettres à notre souverain, le roi Louis, qu'il pourrait contribuer à persuader son maître d'adopter la vraie foi ?
— Peut-être, s'il est vraiment de notre côté. Mais quiconque doté seulement de la moitié de l'intelligence qu'on lui prête pourrait avoir des arrière-pen-sées. »
Kosa ne les entendait plus. Il passa la tête dans 1 ecoutille et jura. Un semblant de lueur orange apparaissait à l'horizon. Il devait tenter son évasion maintenant ou jamais. Il s'apprêtait à s'élancer quand une voix soupçonneuse l'interpella d'en bas.
« Bonjour, Votre Excellence. Je vous ai observé. Vous étiez en train d'espionner, semble-t-il. » Celui qui s'exprimait ainsi, un officier français en uniforme, se mit à monter vers lui. Le petit ambassadeur devait faire vite. Si l'officier atteignait le pont, il ferait part de ses observations au chef de la mission, et Kosa serait probablement placé sous surveillance. Ce n'était pas le moment de tergiverser.
Kosa attendit que la tête de l'officier arrivât au niveau de ses pieds et lui décocha avec une rapidité fulgurante un coup qui l'atteignit au visage, lui écrasant le nez. L'homme poussa un hurlement, perdit pied et tomba à la renverse. Alertés par le bruit, La Loubère et Cébéret rebroussèrent chemin pour se précipiter vers l'échelle au moment précis où Kosa leur filait sous le nez comme une flèche. Les Français restèrent un moment éberlués, tandis que le Siamois gagnait le bastingage.
« Arrêtez-le ! » cria La Loubère. Puis, se rendant compte que le corpulent directeur, le seul homme présent, n'avait guère l'agilité requise pour une telle tâche, il cria : « Gardes, matelots, au secours ! » Mais il n'y avait personne pour entendre son appel.
Gesticulant pour ordonner à Cébéret de surveiller le Siamois, La Loubère dégringola au bas de l'échelle pour aller voir l'officier blessé. Cébéret courut au bastingage que Kosa était déjà en train
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