L'épopée d'amour
reliure d’or ciselé.
– Vous partirez aujourd’hui même, disait Catherine du bout des lèvres.
– Et que dois-je rapporter au Saint-Père ? Que vous faites la paix avec les hérétiques ? Que leur chef et roi naturel est entré à Notre-Dame sans se signer ? Que le roi de France a mis dix mille hommes sur pied pour protéger les huguenots ? Dites, madame, est-ce cela que je dois rapporter ? Et que vous assistez impuissante, bienveillante peut-être, à la conquête lente et sûre du royaume de France par la Réforme ?
Catherine, répondit :
– Vous rapporterez au Saint-Père que l’amiral Coligny est mort !
Salviati tressaillit.
– L’amiral ! fit-il. Le voilà là, à trente pas de nous, plus hautain que jamais.
– Combien de jours vous faut-il pour atteindre Rome ?
– Dix jours, madame, si j’ai des nouvelles intéressantes…
– Eh bien ! L’amiral sera mort dans cinq jours.
– Et qui le prouvera ? demanda rudement le moine.
– La tête de Coligny que je vous enverrai, répondit Catherine sans émotion.
Salviati, tout cuirassé qu’il fût contre la pitié, ne put s’empêcher de frissonner. Mais déjà Catherine ajoutait :
– Vous direz donc au Saint-Père que l’amiral n’est plus. Dites-lui aussi qu’il n’y a plus de huguenots à Paris.
– Madame !…
– Qu’il n’y a plus de huguenots en France ! termina Catherine d’une voix funèbre.
En même temps, elle s’agenouillait sur son prie-Dieu et se prosternait. Salviati avait lentement reculé en passant une main sur son front. Il regagna sans être remarqué la place que le cérémonial officiel lui désignait. Mais alors, chacun put observer que l’envoyé de Sa Sainteté Grégoire XIII était pâle comme un mort.
Nul, disons-nous, n’avait remarqué son manège, excepté toutefois une personne qui paraissait plongée dans la plus évangélique méditation, mais qui, manœuvrant son spirituel regard à droite et à gauche, ne perdait pas un détail de ce qui se passait autour d’elle.
Et cette personne, c’était l’épousée elle-même – la sœur de Charles IX, la fille aînée de Catherine.
Savante, sceptique, supérieure à son époque, capable de soutenir une conversation suivie en latin et même en grec, éprise de littérature, de mœurs faciles, Marguerite était l’antithèse vivante de sa mère. Elle avait horreur des violences, horreur du sang versé, horreur de la guerre. On peut sans doute lui reprocher d’avoir considéré la vertu domestique comme un préjugé ; on peut lui reprocher ses innombrables amants ; Brantôme, qui fut la mauvaise langue de ce temps, nous laisse entrevoir que Margot poussa l’adultère jusqu’à l’inceste ; on assure que le duc de Guise fut son amant ; l’infortuné La Môle eut aussi sa part de ses faveurs, et enfin, on dit que son propre frère, le duc d’Alençon… Mais nous voulons seulement retenir que Margot, jusque dans ses débauches, conserva une élégance d’attitude et d’esprit qui lui font pardonner bien des choses.
En tout cas, son scepticisme raffiné la mettait au-dessus des hideuses passions qui se déchaînaient autour d’elle.
Le matin même, comme l’amiral Coligny arrivait au Louvre pour prendre sa place dans le cortège, il avait dit au roi :
– Sire, voilà certes un beau jour qui se prépare pour le roi de Navarre, pour moi, et pour tous ceux de ma religion.
– Oui, avait brusquement répondu Charles, car en donnant Margot à mon cousin Henri, je la donne à tous les huguenots du royaume.
Cette boutade, qui disait clairement le peu d’estime qu’avait le roi pour la vertu de sa sœur, fut rapportée aussitôt à Marguerite qui, avec son plus charmant sourire, repartit :
– Oui-dà, mon frère et sire a dit cela ? Eh bien, j’en accepte l’augure, et ferai de mon mieux pour rendre heureux tous les huguenots de France.
Pendant la cérémonie, Margot, l’œil aux aguets, surprit l’entretien de sa mère et de l’envoyé du pape. A ce moment, elle était agenouillée près d’Henri de Béarn, qu’elle poussa légèrement du coude.
Henri, un peu pâle et souriant quand même de son sourire narquois, étudiait, lui aussi, avec une ardeur parfaitement dissimulée, les gens qui l’entouraient. Les cris du peuple, l’air insolent de Guise, la physionomie sombre du roi, la figure trop riante de Catherine, tout cela formait un ensemble qui le rassurait médiocrement.
– Monsieur mon époux,
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