L'épopée d'amour
d’une façon spéciale. La porte s’entrouvrit. Le truand entra et alla s’asseoir dans un coin obscur, la sacoche sur ses genoux, sous la table.
Il parvint à entrouvrir la sacoche, y plongea la main, tâta les rouleaux d’écus, sentit les pierres sous ses doigts.
– Bon ! les quarante mille livres y sont. Cornes d’enfer ! Pourquoi ne suis-je pas plus joyeux ?…
Qu’eût dit le truand s’il eût connu la véritable fortune que renfermait la sacoche…
Peu nous importe, au fond.
Cette sinistre silhouette apparue un instant disparaît de notre récit sans que nous sachions si nous la retrouverons plus tard. C’est une ombre qui passe : nous l’avons noté pour le geste tragique inspiré par Catherine, qui avait toutes les prudences.
Le truand ayant vidé plusieurs flacons, paya et s’en alla sans bruit.
Nous ignorons ce qu’il devint, et sur ce point, nous donnons libre carrière à l’imagination du lecteur.
Mais puisque nous venons de pénétrer dans le cabaret des
Deux morts qui parlent
, jetons-y un coup d’œil.
Il y avait nombreuse société, surtout composée de femmes, dans ce que Catho appelait la grande salle. Catho était sujette aux hyperboles et exagérations. En vérité, cette « grande salle » était assez étroite. Elle contenait cinq tables. A chaque table, il y avait trois ou quatre buveurs, truands et ribaudes, physionomies féroces ou abêties, gens de sac et de corde, qui composaient la clientèle nocturne du cabaret.
En effet, l’auberge des
Deux morts qui parlent
, fréquentée le jour par des bourgeois et des soldats, devenait la nuit un véritable repaire, Catho ne s’était jamais senti le courage de refuser l’hospitalité à ses anciennes connaissances.
Il en résultait que cette salle avait le jour l’aspect du plus honnête cabaret qui fut dans le quartier, et la nuit l’apparence d’une véritable caverne où se réfugiaient des gens poursuivis par le guet, des ribaudes qui attendaient la bonne fortune.
Ce soir-là, il y avait plus de femmes que d’hommes, à cause de l’orage.
L’orage était propice aux rôdeurs, tire-laine et francs-bourgeois : il était au contraire défavorable aux ribaudes.
Deux garçons herculéens servaient à boire à cette clientèle qui professait un respect non dissimulé pour leurs poings énormes. Dans la journée les deux colosses, véritables chiens de garde, étaient remplacés par de jeunes et jolies servantes : on voit que Catho connaissait à merveille sa double clientèle et s’entendait à son commerce.
Aux bourgeois paisibles, les servantes accortes et peu farouches. Aux ribaudes et truands, les hercules plus gardiens que garçons.
A cette heure tardive, Catho n’était pas couchée encore. Elle était attablée dans un étroit cabinet, attenant à la salle publique, et causait avec deux jeunes femmes.
Ces deux femmes étaient entrées vers dix heures dans le cabaret, et comme cette visite s’enchaîne étroitement à divers incidents de l’histoire que nous racontons, il est intéressant que nous reprenions du début la conversation qu’elles eurent avec Catho.
Lorsqu’elles pénétrèrent dans la salle, Catho s’avança à leur rencontre en disant :
– Vous voilà donc, mes toutes belles ? Plus d’un mois qu’on ne vous a vues… Sûrement, vous avez quelque chose à me demander…
Elle grondait, d’un bon sourire maternel.
– C’est vrai, Catho, c’est vrai. Nous avons quelque chose à te demander, fit l’une des deux femmes.
– Et c’est grave, ajouta l’autre.
– Bon, bon, entrez là, dit Catho en les poussant vers le cabinet. Vous êtes toujours à court, et vous ne me rendez jamais. Toi, la Roussotte, tu as encore mon beau collier de verroterie bleue que je te prêtai pour faire la conquête de ce beau capitaine, et toi, Pâquette, tu me dois je ne sais plus combien d’écus… Vous êtes deux paniers percés…
– Mais aussi, comme nous t’aimons ! s’écrièrent les deux ribaudes.
– Ah ! jeunesse, jeunesse ! Vous ne voulez pas mettre un sol de côté… S’il vous arrivait pourtant ce qui m’est arrivé à moi ! Si vous perdiez votre beauté du diable !
– Bah ! bah ! tu es toujours belle, Catho, et si tu voulais…
Le sourire de Catho leur prouva qu’elle n’était pas insensible à cette flatterie. Elles entrèrent dans le cabinet, tandis que la maîtresse du cabaret s’occupait de divers clients.
Enfin, la digne Catho vint rejoindre ses
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