L'épopée d'amour
préférées avec un flacon de vieux vin et quelques tartelettes.
Elle adorait ces petites agapes pendant lesquelles elle faisait raconter à ses jeunes amies leurs bonnes fortunes qui lui rappelaient son bon temps. Elle aimait la Roussotte et Pâquette justement à cause des défauts qu’elle leur reprochait.
– Eh bien, voyons, demanda-t-elle, confessez-vous un peu.
La Roussotte, la plus hardie des deux, prit la parole, sur un coup de pouce que lui donna Pâquette.
– Voilà, dit-elle, Pâquette et moi, nous sommes invitées à une fête…
– Pour quand ? fit Catho souriante.
– Pour dimanche… Tu vois que nous avons le temps de nous préparer… surtout si tu nous aides.
– Et en quoi puis-je vous aider, friponnes ? Il vous faut quelque collier ? quelque ceinture ?
– Eh bien, pas du tout, Catho ! Il faut que nous soyons décemment vêtues, comme des bourgeoises, si j’ose dire.
– Comme des bourgeoises ! s’écria Catho stupéfaite.
– Dame… il y aura à cette fête des juges, des prêtres, sans doute… et alors, comprends-tu ? Pâquette et moi, nous avons passé la journée à examiner nos robes… Toutes bonnes pour notre métier… corsages ouverts… ceintures éclatantes : non, il n’est pas possible que nous allions ainsi vêtues à cette fête. Et pourtant nous voulons y aller… Ecoute, Catho, il faut que d’ici dimanche, et même samedi soir, tu nous aies habillées…
Catho leva les bras au ciel.
– Mais enfin ! s’écria-t-elle, qu’est-ce donc que cette fête où doivent paraître des juges et des prêtres et où vous ne pouvez paraître avec ces robes, qui pourtant vous vont à merveille ?
– Ah ! Catho, si tu savais ! fit timidement Pâquette.
– Un mariage, peut-être ? Ou bien un feu de joie ? Ou bien un mystère ?
– Non pas, Catho : nous sommes invitées à voir questionner.
Catho demeura stupéfaite.
La Roussotte et Pâquette, d’un signe de tête, répétèrent que c’était bien vrai.
– Et cela vous amuse ? s’écria la digne cabaretière. Voir souffrir un pauvre diable, l’entendre crier merci… Moi, j’ai vu rouer une fois, et j’en frémis encore lorsque j’y songe.
– Que veux-tu, dit la Roussotte, moi je ne voulais pas. Mais Pâquette veut voir. Et puis elle m’a dit une chose très juste, Pâquette. Si nous n’y allions pas, M. de Montluc, qui est fort généreux, mais aussi fort brutal, nous en voudrait…
– Ah ! c’est M. de Montluc qui vous invite à voir torturer ?
– Lui-même.
– Le gouverneur du Temple ?
– Oui-dà, Catho. Tu vois que le personnage est d’importance.
– Et où devez-vous voir donner la question ?
– Au Temple même. Nous serons cachées dans un cabinet proche de la chambre des questions. Car il ne faut pas qu’on nous voie. Mais enfin, si on nous voit, nous devons passer pour des parentes du patient, venues pour l’assister.
– Ah bon !… Mais à votre place, je n’irais pas…
– Catho, ma bonne Catho, tu veux donc nous faire un gros chagrin ? fit Pâquette.
– Et nous faire perdre la clientèle de M. de Montluc ! ajouta la Roussotte.
– Et nous attirer sa colère ! reprirent-elles en chœur.
– Eh bien, soit ! s’écria Catho vaincue. Je vous aurai tout ce qu’il faut.
– Pour samedi ?
– Pour samedi soir. C’est entendu !
Les deux ribaudes battirent des mains et embrassèrent la digne aubergiste comme des petites filles embrassent leur mère pour avoir une friandise.
– Mais, reprit alors Catho, quel est donc le malheureux qu’on va questionner ?
– Ils sont deux, fit Pâquette.
– Deux ! fit Catho. Comment de jolies filles comme vous peuvent-elles se complaire à l’horrible spectacle de voir torturer deux malheureux ?
La Roussotte et Pâquette regardèrent leur amie avec de grands yeux ébahis : elles ne comprenaient pas.
C’étaient de bonnes et douces bêtes, ce qu’un artiste a appelé des animales.
Et justement, ce qu’elles cherchaient dans la « fête » promise, c’était un frisson d’horreur, sensation neuve pour elles.
– Comment s’appellent-ils, ces deux pauvres diables ? reprit Catho.
– Pardaillan, fit tranquillement Pâquette. Le père et le fils.
– Comme ça, ajouta la Roussotte, ce sera encore bien plus terrible et amusant.
Catho ne disait plus rien. Elle avait pâli. Ses mains en tremblant, s’occupaient à déchiqueter une tartelette. Elle faisait un gros effort pour ne pas pleurer, et
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