L'épopée d'amour
plus qu’elle !
– Je t’aime…
Et il n’entendit plus que ce mot.
Ses pensées se disloquèrent, sa raison s’effondra à grand fracas ; il lui sembla une seconde que des hurlements emplissaient sa tête, que ses muscles hurlaient, que ses nerfs hurlaient, que son cerveau hurlait ; puis brusquement, il ne ressentit plus rien ; le cercle de feu s’éloigna ; l’apaisement infini se fit en lui ; son sourire devint radieux.
Il était fou !
Dans cette fugitive durée du temps, le fou se mit à marcher vers Alice.
Elle répéta :
– Je t’aime…
Et il répondit de sa voix d’amour :
– Je t’aime… Attends-moi… partons…
– Dieu du ciel ! rugit Alice, il me pardonne !…
Au même instant le corps de son amant s’abattit près d’elle ; plus de dix coups de poignard l’avaient frappé en même temps.
– Quoi ! râla-t-elle. Que se passe-t-il ? Qui est là ?… Ecoute ! Tiens ! Fuyons !… Relève-toi !…
Elle essayait de soulever le cadavre ; il retomba pesamment.
Et dans la même seconde, des mains furieuses s’abattirent sur elle, la déchirèrent, lacérèrent sa robe… Sanglante, hagarde, presque nue, Alice s’attachait désespérément au corps et haletait :
– Laissez-le ! grâce pour lui !… Tuez-moi seule !
Un hurlement énorme emplit ses oreilles :
– A mort ! à mort les deux traîtres ! à mort la Béarnaise !
De nouveaux coups de poignard atteignirent le cadavre.
A travers les larmes de sang qui inondait son visage, Alice aperçut alors, dans une suprême vision, la reine qui, debout, appuyée à l’autel, son poignard levé au ciel, son pied posé sur la poitrine de Marillac, hideuse, flamboyante, rugissait :
– Ainsi périssent les ennemis de la reine et de Dieu !
– Grâce pour lui ! cria frénétiquement Alice. Tuez-moi ! Laissez-le vivre !
– Mes filles ! mes filles ! tonna Catherine, jurez de frapper ainsi les ennemis de Dieu et de la reine ! Dieu le veut !…
Alice, au paroxysme de l’horreur, parvint à soulever la tête livide de son amant, comme pour le montrer à Catherine. D’une main, elle s’accrocha violemment à la robe de la reine.
Et tandis que les cinquante juraient de frapper, tandis que les poignards s’agitaient, que les bouches écumaient, que les yeux étincelaient, dans la tempête des serments, la malheureuse, comme dans une dernière lueur d’espoir, jeta cette clameur :
– Sois donc maudite !… Reine de sang et de meurtre ! Tu cherchais ton fils ! Regarde ! Le voilà !…
A l’instant, elle retomba sur le corps de Marillac, rendant par plus de vingt blessures le sang qui inondait ses seins nus. Et dans le dernier spasme de l’agonie, elle eut encore la force de coller ses lèvres aux lèvres du cadavre, et elle mourut en murmurant :
– Je t’aime !…
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Chapitre 23 LE CIMETIERE DES S.S. INNOCENTS
L orsque le tumulte se fut apaisé, Catherine de Médicis prononça quelques mots, et les cinquante, une à une, quittèrent l’église. Seulement, l’une d’elles, en sortant dans la rue, alla droit à un groupe de quatre ou cinq hommes qui attendaient et leur parla à voix basse.
Les hommes, alors, entrèrent dans l’église et marchèrent jusqu’au maître-autel où ils virent une femme agenouillée, complètement enveloppée dans ses voiles noirs.
La femme leur montra le cadavre du comte de Marillac.
– Et celle-ci ? fit l’un d’eux en désignant Alice de Lux.
La femme secoua la tête : les hommes saisirent Marillac et l’emportèrent hors de l’église.
Alors la reine éteignit les quatre cierges qui brûlaient à droite et à gauche du tabernacle. Puis, dans l’obscurité que trouait seule maintenant la faible lueur de la veilleuse suspendue aux voûtes, elle se baissa, se pencha sur une ombre étendue au pied de l’autel.
Cette ombre, c’était le moine Panigarola.
La reine plaça sa main sur la poitrine du moine et constata que le cœur battait sourdement. Alors, elle tira un flacon de son aumônière, et l’ayant débouché, le fit respirer à l’homme évanoui.
Pendant quelques minutes, ses efforts furent vains…
– Pourtant, il vit ! gronda-t-elle.
Enfin, un léger tressaillement agita le moine, et bientôt il entrouvrit les yeux. Catherine, alors, lui versa sur les lèvres une goutte ou deux du liquide qu’elle venait de lui faire respirer – violent révulsif composé par Ruggieri, et dont elle avait maintes fois expérimenté la
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