L'épopée d'amour
le papier de cet homme !
– Alice ! Tu connais cet homme !
Leurs voix, maintenant, avaient d’étranges intonations. Ils ne les reconnaissaient pas. Toute l’horreur, toute l’épouvante était dans la voix d’Alice, tandis que celle de Marillac rugissait le soupçon.
La malheureuse fit un effort désespéré et tenta de prendre le papier.
Marillac, d’un mouvement de douceur formidable, se défit de l’étreinte et monta jusqu’à l’autel, posa près du tabernacle la lettre que ses doigts ne pouvaient plus tenir.
Alice se mit à genoux et murmura :
– Oh ! mon amant, mon unique amour, adieu…tu ne sauras jamais… comme tu as été adoré… adieu…
Et portant à ses lèvres le chaton d’une bague qui ne quittait pas son index, elle le mordit.
Alors elle leva sur Marillac des yeux empreints d’une passion surhumaine et attendit la mort.
A la lueur du cierge posé près du tabernacle, Marillac lut ces mots :
« Moi, Alice de Lux, je déclare que si l’enfant que j’ai eu du marquis de Pani-Garola, mon amant, est mort, c’est que je l’ai tué. Que si l’on retrouvait le cadavre de mon enfant, il ne… »
Là le papier était déchiré. Le reste était demeuré dans la main du moine :
Le comte se retourna ; décomposé à ce point que Catherine ne le reconnut pas – Catherine qui, à deux pas, ramassée sur elle-même, son poignard à la main, contemplait cette scène.
Le comte ne la vit pas.
Alice tendit vers lui ses bras, et d’une voix redevenue étrangement pure, dans une extase d’amour, transfigurée, purifiée par la mort qui la gagnait, elle dit :
– Je t’aime !…
Marillac ne la vit ni le l’entendit.
Il s’étonnait qu’il fût vivant, que l’effroyable charge de douleur appesantie tout à coup sur lui ne l’eût pas écrasée ; une singulière lucidité dans son esprit éclairait violemment un seul point – une question qu’il se posait :
« Comment vais-je mourir ? »
Le reste disparaissait dans une sorte d’obscurité. C’est à peine s’il distinguait que la souffrance lui venait de l’affreuse découverte. Il n’y avait plus en lui que l’horreur de la vie. Vivre encore une heure, une minute, cela lui semblait une impossibilité. Non ! le cœur humain ne peut supporter de ces angoisses. Il faut qu’il éclate dans la poitrine embrasée de fièvre.
Son regard vitreux tourna autour de lui.
Il se posa un inappréciable instant sur Alice qui, les bras tendus, les yeux rivés à lui, ne voyant que lui, répéta :
– Je t’aime…
Il ne la vit pas. Son regard atteignit la reine.
Et alors, un imperceptible tressaillement indiqua qu’il revenait à la connaissance des choses qui l’entouraient.
A grand’peine, il se détacha de l’autel auquel il s’était appuyé, et d’un pas lourd, hésitant, il s’approcha d’elle.
Catherine de Médicis le vit venir sans pouvoir faire un geste. Elle était sous le charme de l’horreur. Confusément, elle se disait qu’elle avait outrepassé les limites. Mais la tenace résolution de tuer son fils la dominait.
Lorsque Marillac fut tout près d’elle, il sourit.
Quel sourire !…
Et voici ce qu’il dit, ce qu’il balbutia plutôt, car la reine put à peine l’entendre :
– Eh bien, ma mère, êtes-vous contente ?… Pourquoi me tuez-vous… de cette manière ?…
Catherine apprit ainsi que son fils comprenait la vérité tout entière. Cette conviction rompit le charme. Effroyable, elle se redressa ; d’un geste brusque, elle leva quelque chose qui paraissait être une croix et qui était un poignard, et elle gronda :
– Comte, ce n’est pas moi qui vous tue… c’est cette croix… c’est pour le service de Dieu ! Dieu le veut !
Et d’une voix tonnante, elle répéta :
– Dieu le veut !
Alors une étrange rumeur se fit entendre dans l’église. On eût dit que la tempête qui mugissait au-dehors avait défoncé les portes et que les rafales accouraient vers le maître-autel. Un bruissement de robes qui se froissent et se heurtent, un piétinement rapide parmi des bruits de chaises renversées, un murmure d’abord indistinct de voix, puis le tumulte de ces voix éclatant en imprécations sauvages…
– Dieu le veut ! Dieu le veut !
Marillac, comme dans une fantasmagorie de cauchemar, vit la foule des têtes féminines convulsées par la haine et la peur, il vit l’ombre se hérisser de lueurs de poignards…
Puis son regard tomba sur Alice.
Et il ne vit
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