L'épopée d'amour
étage.
« Ils les tiennent ! songea-t-il en riant. Voilà deux gaillards dont la peau ne vaut pas un ducaton à l’heure qu’il est… tandis que cette tête vaut mille écus d’or. Belle tête, ma foi !… Cà, il faut que je la débarbouille… »
Il entra dans une pièce du rez-de-chaussée qui avait dû servir de corps de garde, et il en ressortit bientôt avec un baquet plein d’eau. Tranquillement, il se mit à sa hideuse besogne, fredonnant une ballade d’amour où il était question de printemps, de roses d’avril, de chants d’oiseaux et de baisers.
Autour de lui, l’hôtel ravagé, ses portes démantelées, ses fenêtres brisées, la cour encombrée de meubles précieux qu’on avait jetés et qui gisaient éventrés parmi des débris de vitraux, l’hôtel ressemblait à une forteresse après le sac d’une prise d’assaut. En haut, dans les combles, il entendait les voix furieuses des limiers lancés aux trousses des Pardaillan. Dans Paris, tout ronflait ; il y avait dans les airs un bourdonnement énorme.
Paisible, Bême s’occupait à nettoyer la tête de Coligny.
Tout à coup, il vit entrer dans la cour un homme qui, d’un air anxieux, se mit à inspecter l’hôtel, tournant, et virant, le nez en l’air.
– Tiens, M. de Maurevert, dit Bême.
L’homme se retourna vers le coin où le sinistre travailleur était occupé. Il était pâle et haletant.
– On dirait que vous cherchez un trésor ! reprit Bême en ricanant. Hé ! ça chauffe, hein ? Quelle capilotade de parpaillots !…
– Je cherche, dit Maurevert, la voix rauque et les yeux sanglants, je cherche deux de ces parpaillots, justement ! Deux terribles, deux damnés ! Je les ai vus partir du Temple. J’ai perdu leur piste… Je suis sûr qu’ils ont dû venir ici…
– Ah ! ah !… Un vieux, maigre, moustache grise et rude, œil gris ?…
– Oui, oui !
– Et un jeune, comme qui dirait l’autre, en plus sauvage, en plus fort, en plus hérissé ?
– Oui, oui !…
– Ils sont là… on leur fait la chasse, allez-y, vous avez du flair ; taïaut, Maurevert, taïaut !…
Maurevert s’élança dans l’escalier que lui montrait Bême, et disparut en poussant un rugissement de joie. Bême se mit à rire et répéta :
– Quelle capilotade, Seigneur !
Pendant que ces choses se passaient dans la cour, les deux Pardaillan avaient monté l’escalier. Le bâtiment dans lequel ils se trouvaient formait le flanc gauche de l’hôtel et était isolé des deux autres dont l’ensemble traçait le rectangle de la cour.
D’étage en étage, les Pardaillan virent qu’il n’y avait pour eux aucune issue possible.
Comme ils atteignaient le grenier, ils entendirent en bas une clameur : la porte venait de céder, et la bande faisait irruption dans l’escalier.
– Ah çà ! dit le vieux routier, mais nous allons être pris comme des renards ?
– Faites attention, monsieur, répondit le chevalier, que nous étions, il y a moins de deux heures, dans une cage de fer où nous allions être broyés ; nous sommes au paradis en comparaison.
En parlant ainsi, ils avaient couru à l’unique fenêtre du grenier.
En face de cette fenêtre, s’en ouvrait une qui appartenait au bâtiment central, c’est-à-dire à l’hôtel proprement dit. La demeure de l’amiral était ainsi composée : la cour ; au fond de la cour, l’hôtel ; à droite et à gauche, en retour sur la rue, un bâtiment ; ces deux bâtiments séparés de l’hôtel central par un passage étroit permettant de gagner les derrières et les jardins. De cette disposition, il résultait que les dernières fenêtres de chaque bâtiment faisaient vis-à-vis à la face gauche et à la face droite de l’hôtel central.
C’est dans le bâtiment de gauche que se trouvaient les Pardaillan.
– Voici le chemin ! s’écria le vieux routier en apercevant la fenêtre que nous venons de signaler.
Une planche ! Vite une planche !
Ils cherchèrent des yeux : il n’y avait rien dans le grenier, pas la moindre planche, pas le moindre meuble capable de former un pont, pas même une corde qu’on eût pu, peut-être, utiliser…
Redescendre ? Impossible : les gens d’armes montaient, fouillant chaque étage.
Le vieux routier laissa échapper une terrible imprécation.
Ils se regardèrent, tout pâles…
Soudain, ils entendirent les cris au-dessous d’eux… dans quelques secondes, le grenier allait être envahi !…
– Sautons ! dit
Weitere Kostenlose Bücher