L'épopée d'amour
Non ! Ils n’avaient pu fuir. On avait mal cherché ! Il redescendit et, seul, d’étage en étage, recommença les recherches.
– Ils ont fui ! Ils m’échappent ! Oh ! les démons !… oh ! je les retrouverai !
Il grondait ces mots en rentrant dans la cour et jetait autour de lui des regards sanglants.
Il s’arrêta soudain pétrifié, muet d’épouvante…
Là, devant lui, un cadavre, debout, un épieu en travers du corps, était cloué à la grande porte fermée !… Le cadavre de Bême !…
Maurevert, au bout d’un instant, revint de sa stupeur, et se mit à tourner dans la cour comme un insensé en vociférant :
– Ils ont passé par là ! Voilà la marque de leur passage ! Ce sont eux !… Ah ! je les retrouverai !…
Cependant, il eut vite acquis la conviction qu’il n’y avait plus personne dans la cour ni dans l’hôtel… plus rien que des cadavres !
Alors, par un effort de volonté, il se calma, réfléchit comme peut réfléchir un limier et chercha à reprendre la piste.
Son regard tomba sur un paquet enveloppé de linges.
Il défit les linges et trouva la tête de Coligny. Il la saisit par les cheveux.
– Toujours bon à prendre, gronda-t-il entre les dents. A qui la porterai-je ? à Guise ? à la reine ?… Bah ! Guise est battu pour cette fois, je la porterai à la reine !
Il s’élança dans la rue.
A gauche, à cinquante pas, il y avait une foule qui dansait autour d’un feu sur lequel on avait jeté une douzaine de cadavres.
A droite, la rue était libre.
– Ils ont fui par là ! grommela Maurevert.
Et il se jeta sur la droite, marchant de ce pas à la fois rapide, hésitant et réfléchi de limier qui chasse…
– Nous allons essayer de sortir de Paris, dit le vieux Pardaillan lorsqu’ils se trouvèrent dans la rue.
– Nous allons essayer de gagner l’hôtel Montmorency, répondit le chevalier.
– Tu l’as dit toi-même : en sa qualité de catholique, il ne court aucun danger…
– Est-ce qu’on sait ? Allons toujours.
– Dis donc la vérité ! fit le vieux routier avec humeur. Il te tarde de revoir la petite Loïson…
Le chevalier pâlit. Jamais il ne prononçait le nom de Loïse : il y pensait trop pour en parler. Il se contenta de répéter :
– Allons toujours, monsieur. Si le maréchal de Montmorency est attaqué, je crois que nous ne lui serons pas inutiles…
Et à la pensée que des bandes de forcenés entouraient peut-être Loïse, il frémit et hâta le pas.
– Mais enfin ! s’écria le vieux routier, s’il est avec les massacreurs !… Dame… n’est-il pas bon catholique ?
Le chevalier s’arrêta, livide.
– Oh ! murmura-t-il, ce serait horrible… Je veux m’en assurer, mon père ! Je veux voir si Loïse est la fille d’un de ceux qui tuent au nom de Dieu… Allons, monsieur, à l’hôtel Montmorency !…
– Hum ! ce sera difficile.
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Chapitre 40 LE DIMANCHE 24 AOUT 1572, FETE DE LA SAINT-BARTHELEMY
O ui, c’était difficile ! Dès qu’ils furent sortis de la rue de Béthisy, ils purent se rendre compte que chacun de leurs pas les jetterait dans un nouveau péril. Paris était comme un vaste champ de bataille qu’il était impossible de traverser sans se heurter à des ennemis furieux, sans risquer la mort à chaque seconde. Pourtant, il n’y avait pas bataille : il y avait tuerie, carnage. Tous ceux des huguenots qui eussent pu organiser un semblant de défense, avaient été tués dès la première minute. Maintenant, on tuait des bourgeois, des gens du peuple, des femmes, des vieillards, des enfants, des êtres sans défense.
Dans chaque quartier, dans chaque rue, toute personne qui était suspecte aux yeux du voisinage, qui avait témoigné quelque sympathie à la Réforme, ceux-là, protestants ou non, étaient traqués ; la même hideuse scène se reproduisit sur tous les points de Paris. L’infortuné – homme ou femme – voyait subitement entrer chez lui une bande de vingt à trente forcenés. On lui courait sus. Le pauvre diable se sauvait sautant quelquefois par la fenêtre. Alors, la chasse infernale commençait jusqu’à ce que le suspect tombât ou se trouvât acculé ; les coups de poignard le labouraient, on traînait son corps jusqu’au feu le plus voisin, ou jusqu’à la Seine, et tout était dit !…
Au jour venu, le massacre avait pris des proportions fantastiques. Cela devait durer ainsi pendant six jours ! En province, dans les grandes villes, les
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