L'épopée d'amour
Ce grand cœur vacille ! Il me semble, à force de creuser ma pensée, que la reine de Navarre a surpris un crime chez Alice, et que, par pitié pour moi, peut-être, par grandeur d’âme, par l’étonnement que lui a causé l’amour d’Alice, elle ait résolu de taire ce crime… Il me semble que je lis dans son esprit… Epouse-la ! Epouse cette criminelle ! Ce mariage m’épouvante pour toi ! Mais il y a tant d’amour dans vos cœurs, que le crime de vous séparer à jamais serait peut-être plus grand que le crime de vous unir !…
– Avez-vous revu Alice, depuis ? demanda Catherine.
– Non, madame !… Il me semble maintenant qu’à son premier mot, à son premier geste, je découvrirai son crime… et pourtant je ne puis vivre sans elle, et pourtant je souffre à chaque seconde de cette existence que je mène loin d’elle…
– Vous parlez de crime, reprit la reine en hochant la tête, prenez garde d’aller trop loin dans des soupçons que rien ne justifie. Ecoutez-moi, comte… Il y a dix-huit jours, je vous ai demandé un mois pour savoir toute la vérité sur Alice de Lux… Mon enquête a abouti plus rapidement que je n’eusse espéré… cette vérité, vous allez la savoir selon ma promesse… Alice de Lux est pure, Alice de Lux a mené l’existence la plus innocente, Alice de Lux est digne de l’amour et du respect d’un homme tel que vous… mais…
Ce « mais » le comte de Marillac ne l’entendit pas. A cette certitude que lui donnait Catherine de la pureté, de l’innocence d’Alice, le malheureux jeune homme était tombé sur ses genoux, râlant, délirant, sanglotant d’une joie surhumaine, il avait saisi les mains de la reine, et ce cri fit pour ainsi dire explosion sur ses lèvres.
– Ma mère !… ma mère !…
Catherine laissa tomber sur le comte prosterné un regard terrible ; puis ce regard fit le tour de l’oratoire avec une inexprimable épouvante. Elle se redressa, dégagea ses mains, se recula, et d’une voix rauque :
– Etes-vous fou, monsieur ? gronda-t-elle.
Au même instant, Marillac fut debout… Mais déjà la reine avait composé son visage…
– Ah ! comte, murmura-t-elle, vous venez de me donner une émotion bien cruelle, pour si douce qu’elle soit… Songez que si on vous avait entendu, la mère du roi de France était déshonorée…
– Oh ! infâme que je suis !… Pardonnez à mon délire, Majesté… pardonnez un pauvre insensé que ballottent les passions et que conduit la fatalité…
– Silence, comte ! Pour Dieu, si j’ai pu effacer de votre cœur les préventions que vous aviez contre moi, si j’ai pu vous inspirer non pas même de l’affection, mais cette pitié naturelle que tout homme accorde à la femme qui a longuement et atrocement souffert, silence ! Silence sur tout ceci…
– Je le jure, oh ! je le jure sur mon âme.
– Pas un mot, pas une allusion à personne au monde !
– A personne, madame, à personne !…
– Pas même à Alice ! Pas même à cette reine de bonté qui est votre reine.
– Je le jure !…
– Vous m’avez également juré de tenir secrètes toutes nos entrevues…
– Je le jure encore !…
La reine parut alors s’apaiser et s’abandonner à cette mélancolie qui donnait un charme sévère à son visage, quand elle voulait. Le comte, encore tout pantelant d’émotion, demeurait devant elle, silencieux, cherchant à reprendre son sang-froid…
« Quoi ! songeait-il. D’où me vient donc tant de joie ? Ai-je donc réellement douté d’Alice ? Jamais ! Jamais ! »
Après quelques instants, pendant lesquels Catherine calcula la confiance qu’elle avait pu acquérir dans le cœur de Marillac, elle reprit :
– Maintenant, puisque j’ai promis de vous dire toute la vérité, il faut que vous sachiez pourquoi la reine de Navarre a hésité, pourquoi vous avez pu concevoir des doutes sur Alice de Lux… Il y a en effet un mystère sur cette pauvre petite… et peut-être, parfois, a-t-elle pu elle-même vous sembler étrange dans ses attitudes ou ses propos.
– En effet… Elle a quelquefois des terreurs folles…
– Elle craignait que la vérité n’éclatât un jour à vos yeux ; cette vérité terrible en soi, bien que la pauvre enfant n’en soit en aucune façon responsable…
– Parlez, madame, supplia le comte… maintenant, je puis tout entendre !
– Eh bien, Alice est une fille sans nom, sans famille. Adoptée par les de Lux, elle ne peut
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