L'épopée d'amour
Lux ?… et comment j’ai pu savoir quel chagrin vous tourmentait ?
– Je vis dans une telle inquiétude, madame, que rien ne me touche ni m’étonne… J’ai simplement supposé que Votre Majesté disposait d’admirables ressources d’information… et qu’elle avait daigné s’informer de moi…
– C’est un peu cela, comte… mais croyez bien que le génie et l’intrigue qu’il m’a fallu déployer pour vous suivre pas à pas, savoir où vous alliez, ce que vous faisiez, ce que vous pensiez, vous protéger au besoin… eh bien, je ne les eusse déployés pour personne au monde, fût-ce même pour le roi de France…
Le comte, à ces mots, eut encore un de ces mouvements impulsifs comme Catherine en avait provoqué deux ou trois depuis le début de cet entretien. Mais cette fois encore, elle l’arrêta, en se reprenant pour ainsi dire à l’instant précis où elle paraissait vouloir s’abandonner à l’émotion.
– Je vous ai donc surveillé, reprit-elle avec un sourire. Tenez, comte, vous eussiez été un criminel d’Etat, vous eussiez été mon plus cruel ennemi que je ne vous eusse pas mieux surveillé… J’ai d’abord voulu voir de près, et Dieu sait ce qu’il m’en a coûté pour demeurer si froide devant vous, alors que…
– Achevez, madame, je vous en supplie ! s’écria Marillac palpitant.
– Rien, fit la reine sourdement. L’heure n’est pas venue, et vous avez juré de ne pas m’arracher mon secret.
Le comte joignit les mains et s’inclina comme devant une sainte.
– Après notre première entrevue, continua la reine, je ne tardai pas à connaître votre amour pour Alice de Lux. Un soir, comte, vous vous êtes arrêté près de mon nouvel hôtel, au pied même de la tour. La reine de Navarre vous accompagnait. Elle entra chez Alice. Et vous, vous attendîtes… Alors, je voulus savoir ce qui vous tourmentait… Je connaissais Alice… je l’avais quelque peu malmenée jadis parce qu’elle abandonnait notre religion… J’eus tort, je l’avoue, et mon zèle m’avait emportée trop loin… on devrait toujours respecter la croyance des autres… mais enfin, je connaissais assez Alice pour savoir qu’elle ne m’en aurait pas gardé rancune… Le lendemain matin, je la vis donc… et je sus ce qui s’était passé entre elle et la bonne reine Jeanne…
– C’est ce jour-là, madame, interrompit le comte frémissant, qu’eut lieu notre deuxième entrevue… c’est ce jour-là que vous me fîtes venir… que vous voulûtes bien me donner ce coffret d’or en signe de votre affection… royale… c’est ce jour-là enfin que vous me fîtes une promesse…
– Oui : celle de vous dire au juste ce qu’est Alice de Lux !… Cette promesse, je vais la tenir…
Le comte était devenu livide ; il s’apprêtait à écouter, comme l’accusé peut écouter à l’instant où le juge va prononcer la sentence.
– Mais, reprit Catherine, la reine de Navarre ne vous a donc rien dit depuis ce jour ?
– Rien, madame, rien !… En quittant la maison d’Alice de Lux, elle me dit… et toute ma vie, j’aurai ces paroles gravées dans ma mémoire : « Mon enfant, j’ai longuement interrogé votre fiancée. Dans mon âme, voici ce que je pense : je verrai avec effroi que cette demoiselle devienne la femme d’un homme que j’aime comme un fils… mais l’amour peut faire des miracles… et je crois vraiment que l’amour d’Alice pour vous est de ceux qui font des miracles… Elle vous aime comme rarement femme aime… Devant un amour si grand, je vous dis, mon enfant : Suivez votre destinée ; ne tenez compte ni de mes hésitations, ni de cet effroi véritable dont je vous parle ; nulle femme au monde ne vous aimera comme vous aime Alice. »
Le comte garda alors un sombre silence, comme s’il eût encore répété en lui-même ces paroles. Puis il reprit :
– Depuis, la reine ne voulut jamais ajouter un mot. Elle me pria même de ne plus lui parler de ces choses jusqu’au jour où je serais décidé à épouser Alice… Ah ! madame, les paroles de ma reine n’avaient fait qu’épaissir le mystère. Pourquoi cette noble femme, qui jamais n’a menti, a-t-elle rougi devant moi ? Que signifie cet effroi qu’elle manifeste à l’idée qu’Alice peut devenir ma femme ? Que s’est-il donc passé qu’il ait fallu un miracle, un miracle d’amour pour le faire oublier à Jeanne d’Albret ?… Quoi ! cet esprit si ferme et si juste hésite !
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