Les amours du Chico
question :
« Serait-il dénué d’ambition à ce point ? Après avoir eu
le malheur de me heurter à un Pardaillan, aurai-je cet autre
malheur d’avoir mis la main sur un de ces désabusés, un de ces fous
pour qui fortune, naissance, puissance, couronne même, ne sont que
des mots vides de sens ? »
En songeant ainsi, elle levait vers le ciel un regard chargé
d’imprécations et de menaces, comme si elle eût sommé Dieu de lui
venir en aide.
Mais c’était une rude jouteuse que Fausta, et elle n’était pas
femme à renoncer pour si peu. Ces réflexions avaient passé dans son
esprit avec l’instantanéité d’un éclair. Et quels que fussent son
doute et son angoisse, sa physionomie n’exprima rien que cette
immuable sérénité qu’il lui plaisait de montrer.
Et à la question du Torero qui ne la suspectait pas
personnellement, elle répondit du tac au tac :
– Des documents, d’une authenticité indiscutable, que je
possède, des témoins, dignes de foi, prétendent que vous êtes fils
légitime du roi Philippe. Et c’est pourquoi je le dis. Mais je ne
prétends rien, personnellement, croyez-le bien. Au surplus, je vous
l’ai dit, un jour, très prochain, je mettrai toutes ces preuves
sous vos yeux. Et vous serez bien forcé de convenir vous-même que
je ne prétends rien qui ne soit l’expression de la plus absolue
vérité.
Très doucement, le Torero dit :
– À Dieu ne plaise, madame, que je doute de vos paroles, ni
que je suspecte vos intentions !
Et avec un sourire amer :
– Je n’ai pas reçu l’éducation réservée aux fils de roi…
futurs rois eux-mêmes. Tout infant que je suis – puisque vous
l’assurez – je n’ai pas été élevé sur les marches du trône. J’ai
vécu dans les ganaderias, madame, au milieu des fauves que j’élève
pour le plus grand plaisir des princes, mes frères. C’est mon
métier, madame, à moi, un métier dont je vis, n’ayant ni douaire,
ni titres, ni dotations. Je suis un gardeur de taureaux, madame.
Excusez-moi donc si je parle le langage brutal d’un gardien de
fauves, au lieu du langage fleuri de cour auquel vous êtes
accoutumée sans doute, vous, princesse souveraine.
Fausta approuva gravement de la tête.
Le Torero, s’étant excusé à sa manière, reprit
aussitôt :
– Ma mère, madame, comment s’appelait-elle ?
Fausta leva les sourcils d’un air surpris, et avec
force :
– Vous êtes prince légitime, dit-elle. Votre mère
s’appelait Élisabeth de France, épouse légitime de Philippe roi,
reine d’Espagne, par conséquent.
Le Torero passa la main sur son front moite.
– Mais enfin, madame, dit-il d’une voix tremblante, me
direz-vous pourquoi, puisque je suis fils légitime, pourquoi cet
abandon ? Pourquoi cette haine acharnée d’un père contre son
enfant ? Pourquoi cette haine contre l’épouse légitime, haine
qui est allée jusqu’à l’assassinat ?… Car vous m’avez bien
dit, n’est-ce pas, que ma mère était morte des mauvais traitements
que lui infligeait son époux ?
– Je l’ai dit et je le prouverai.
– Ma mère était donc coupable ?
Et il tremblait en posant cette question. Et ses yeux suppliants
imploraient un démenti qu’elle ne lui fit pas attendre car elle
dit, très catégorique :
– Votre mère, je l’ai dit et je le répète et je le
prouverai, la reine, votre mère, votre auguste mère, était une
sainte.
Évidemment, elle exagérait considérablement. Élisabeth de
Valois, fille de Catherine de Médicis, façonnée au métier de reine
par sa redoutable mère, pouvait avoir été tout ce qu’il lui aurait
plu d’être, hormis une sainte.
Mais c’est au fils que parlait Fausta, et elle comptait sur sa
piété filiale, d’autant plus ardente et aveugle qu’il n’avait
jamais connu sa mère, pour lui faire accepter toutes les
exagérations qu’il lui conviendrait d’imaginer.
Fausta avait besoin d’exaspérer autant qu’il serait en son
pouvoir le sentiment filial en faveur de la mère. Plus celle-ci
apparaîtrait grande, noble, irréprochable aux yeux du fils, et
plus, forcément, sa fureur contre l’époux, bourreau de sa mère, se
déchaînerait violente, irrésistible. Or il fallait que cette fureur
arrivât à un point tel qu’il oubliât totalement que cet époux
c’était son père.
C’est pourquoi, pour les besoins de sa cause, Fausta n’hésitait
pas à canoniser, de sa propre autorité, la mère du
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